Chapitre 19

125 12 0
                                    

Quand Madame Martone fit irruption dans la vaste cour extérieure, toutes les filles se raidirent. Aucune d'elles n'avait été attachée à un poteau cette fois-ci. A la place, on les avait toutes mises en rang par cinq, comme la semaine précédente. Madame Martone monta sereinement sur une sorte d'estrade et les domina bientôt de toute sa hauteur. Un silence de mort s'installa.

– Bien, dit-elle après s'être éclaircie la gorge. Pas de visite aujourd'hui, je suis sûre que vous êtes toutes très déçues...

Elle les gratifia d'un large sourire empli d'hypocrisie.

– En revanche, bonne nouvelle, c'est aujourd'hui que nous désignons la gagnante de notre grand jeu « Qui va avoir le droit de rentrer chez elle ? » !

A ces mots, une rumeur s'éleva parmi la foule des captives. Salini se tourna vers ses amies :

– Si c'est l'une de nous trois qui est libérée, il faut que l'on se promette de venir à la rescousse des autres une fois dehors, murmura-t-elle.

– Nous venons à peine d'arriver, lui rétorqua Karina d'une voix résignée. Aucune chance qu'ils nous laissent partir après si peu de temps.

– On peut toujours espérer...

Madame Martone reprit la parole en haussant le ton pour se faire entendre :

– Mesdemoiselles, s'il vous plaît. Je sais que vous êtes toutes très excitées à cette idée, mais je vous rappelle les règles : une seule d'entre vous sera choisie.

Le silence reprit ses droits. La tension dans le groupe était palpable. Un garde s'avança sur l'estrade en tenant un plateau sur lequel était posé un unique papier plié, qu'il tendit à Madame Martone. Le cœur d'Eldria se mit à tambouriner. Comme Karina, elle n'avait que peu de foi en ses chances d'être sélectionnée, mais si jamais... Si jamais c'était elle ? Si jamais c'était son nom qui était inscrit ? Après tout, elle n'avait pas fait de vague...

Madame Martone attrapa d'un geste nonchalant le papier, le déplia, et le contempla de longues secondes, visiblement satisfaite de l'attente insoutenable qu'elle infligeait à tous les visages anxieux en face d'elle. Finalement, elle s'éclaircit une nouvelle fois la gorge, et appela :

– Killi Hodrick !

En entendant son nom, une jeune fille blonde manqua de s'effondrer juste devant Karina. Cette dernière la rattrapa de justesse. Des dizaines de regards noirs se tournèrent vers elle. Visiblement, la bienveillance mutuelle n'était pas de mise pour toutes les captives. Eldria, bien que déçue elle aussi, ne put se résoudre à en vouloir à cette frêle jeune femme, certainement encore plus jeune qu'elle.

– Venez mon enfant, interpella Madame Martone.

La dénommée Killi se remit tant bien que mal sur ses appuis et s'avança d'un pas chancelant vers l'estrade. Vers sa liberté. Elle pleurait. Personne ne la félicita, personne ne l'applaudit, à l'exception de Madame Martone qui tapotait faussement des mains.

– Vous allez retrouver votre famille jeune fille, vous êtes contente ?

L'heureuse élue fit un léger oui de la tête, visiblement trop émue pour parler. Puis, un garde lui agrippa sans ménagement le bras et l'accompagna vers une porte dérobée. C'était horrible, se dit Eldria. Horrible de faire miroiter ainsi à toutes ces femmes une improbable liberté, suscitant ainsi la compétition haineuse entre elles. Elle était heureuse pour cette jeune ex-détenue qu'elle ne connaissait pas, qu'elle ne reverrait sans doute jamais et qui allait avoir la chance de retrouver les siens. Mais à quel prix ? Quelles séquelles allait-elle garder ? Combien de fois avait-elle été honteusement abusée pour en arriver là ? Elle paraissait si jeune, s'en remettrait-elle seulement un jour ?

Eldria - T.1 - L'Enfer RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant