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Le coup de marteau retentit. La salle s'anime tandis que je reste tremblant sur mon siège, les yeux rivés sur la personne que je hais le plus au monde. Il n'est qu'à quelques mètres, mais je sens encore son odeur de cigarette, j'entend encore sa voix rauque et je vois encore ses mains rugueuses. Je reste là, à le regarder comme pour l'inciter à tourner son regard noir vers moi, une dernière fois. Bien entendu, il ne le fait pas ; il reste les yeux rivés sur le sol, ses doigts entremêlés même avec les menottes. Alors que les gens se pressent vers la sortie et que ma mère se blottit dans les bras de mon oncle, une larme, ultime soupir de ces années de souffrance, coule le long de ma joue. Elle est suivit d'autres, plus lourdes, plus douloureuses et c'est les yeux brouillés que je regarde mon tyran sortir. Je gémis, comme si j'avais reçu encore des coups. Lorsqu'enfin je n'aperçois plus sa silhouette, je sèche mes larmes et passe la main dans mes cheveux courts. Ma mère se tourne enfin vers moi.

- Adil.

Je ferme les yeux avant de me tourner vers elle.

- C'est fini, assure-t-elle autant pour me réconforter que pour se rassurer elle même, tout est enfin fini.

- C'est fini devant la loi, je lâche d'une voix sèche, mais tu le sais autant que moi que c'est pas fini. Ça ne finira jamais.

Elle me serre le bras tandis que j'essaye de rassembler mes affaires pour me lever.

- Adil, s'il te plaît...

Je me tourne vers elle, les yeux encore une fois brouillés.

- Il est peut-être parti, je lui dit avec une voix tremblante, mais les cicatrices qu'il m'a fait sont toujours gravées sur ma peau, dans mon coeur. Tous les jours, je me souviendrais de ces années d'enfer, de ces coups, de tes pleurs...de tout ce qu'il a fait de mal. Il a beau crever en prison, il sera toujours quelque part, que ce soit sur mon corps, dans mes souvenirs, dans tes peines. Il sera toujours là !

Et d'un coup sec, je m'arrache de son étreinte alors qu'elle me supplie de rester, bouscule des vieilles dames en chemin et enfin je sors de la pièce brutalement pour sortir. Une fois dehors, comme je m'y attendais, des journalistes remplis de questions insistantes, et armes de leurs longues perches et caméras m'attendent. Je leur crache des obscénités avant de contourner le bâtiment.

Une fois au calme, et même avec les odeurs immondes des poubelles, je m'autorise à me détendre. Je glisse le long du mur en déposant mon sac, et m'assois à même le sol. Puis je pleure, je pleure jusqu'à ce que mon corps se secoue de partout, jusqu'à ce que mes mains n'arrivent plus à essuyer mes larmes, jusqu'à ce que mes douleurs se noient. Et lorsqu'enfin, mon corps s'arrête de trembler, mes larmes de couler, j'inspire un air nouveau.

Et je sais que quand je me lèverais, une nouvelle vie s'offrira à moi, qui me fera oublier mes pires cauchemars.

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L'automne a désormais cédé sa place à l'hiver. Le vent se fait plus froid, plus rugueux et les températures obligent à se couvrir entièrement. C'est bien pour ça que j'aime l'hiver.

Enfin, je peux me cacher, me faufiler dans la foule avec un grand manteau noir sans que cela ne gêne personne.

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire d'une de mes petite cousines. Je ne l'ai jamais connue, mais même après avoir atteint l'âge adulte, ma mère exerce sur moi une autorité sans faille. Alors je ne peux que lui obéir, à moins de rester sans logement.

Arrivée au portail, reconnaissable avec ces nombreux ballons roses, l'ennui me gagne déjà. J'appuie comme une folle sur la sonnette, un sourire sadique sur le visage.

- Anna ?! M'appelle une voix que je connais trop bien.

Une personne normale aurait sursauté ; alors je me demande dans quelle « classe » on m'aurait mise...bizarre ? Non trop simple. Folle ? Pas mon style. Je n'ai pas le temps de poursuivre ma réflexion quand mon interlocuteur me tire le bras. Je me retourne, le visage fermé, vers mon petit frère.

- T'es venue finalement ? S'étonne-t-il avec une voix aiguë.

- Ah ton avis, Tom ? Je lui demande d'une voix morne.

- Oh ça va madame-rabat-joie hein...

Je soupire tandis que je vois ma tante arriver pour nous ouvrir. Tout sourire, elle commence à discuter avec mon frère, m'ignorant totalement. Alors, habituée à ce genre de comportement, je contourne sa grande robe rose digne d'un comte de fée, et traîne des pieds jusqu'à la porte de l'enfer.

Encore une journée parmis d'autre sans importance dans ma vie morose.

Je donnerais cher pour qu'il arrive quelque chose qui me fasse exister.

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant