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Le bâtiment devant moi est vraiment moche, mais en même temps, une prison ne sert pas à être jolie. Je me gare n'importe comment avant de descendre en trombe de la voiture. Je manque de trébucher à cause d'un trottoir. Je verrouille ma voiture avant de chercher du regard la mère d'Adil. Il y a à peine une demi-heure, elle m'a appelé pour venir la rejoindre ici. Elle avait l'air affolée, alors j'ai laissé tombé Noémie qui se lamentait d'avoir perdue son chat et je me suis mis en route aussi vite que possible. Je l'aperçois enfin, les bras croisés devant un lampadaire. Malo aussi est là, assis. Mais lorsqu'il m'aperçois, il aboie d'excitation.

- Madame Castagnet ! Je m'écrie comme une dingue.

Son visage s'illumine quand elle me voit. Elle me prend aussitôt dans ses bras et j'accueille chaleureusement son étreinte. 

- J'ai cru comprendre que vous êtes inquiète, je dis. 

Elle hausse les épaules.

- Oui et non, avoue-t-elle en s'écartant de moi. J'ai peur de retrouver Adil affaibli par cette visite. Mais je sais qu'il peut surmonter ça, doucement, mais il va y arriver. Je veux que tu sois là quand il sortira parce que ça pourrait lui remonter le moral, tu vois. Tu es bien la seule qui puisse l'aider en ce moment.

Je souris. C'est bien pour ça que je suis venue, pour lui changer les idées. Mais surtout pour lui avouer mes sentiments. 

- Merci beaucoup de m'accorder toute cette confiance, je lui confie en rougissant un peu. J'ai l'impression de...de faire un peu partie de votre petite famille. 

Elle souris puis prend Malo dans ses bras.

- Lui aussi est là pour réconforter Adil ! Rit-elle.

Je ris avec elle, soulagée. Je caresse la tête du chien. Il me lèche plusieurs fois, ce qui me fait rire encore plus. Tout à coup, je vois le sourire de madame Castagnet perdre son éclat en quelques secondes. Je me retourne. Adil est sorti. Il marche vers nous, des affaires à la main. Elle remet Malo sur ses pattes et se hâte vers son fils. Il lui dit quelque chose puis la prend dans ses bras, longtemps. Cette scène me réchauffe le cœur. Puis je les vois se retourner vers moi. La mère d'Adil s'avance et me pose une main sur l'épaule.

- Je vous attends dans la voiture, chuchote-t-elle comme un secret, vous avez des choses à vous dire. 

Je hoche la tête. Il me faut un petit temps avant d'avoir le courage d'aller à sa rencontre. Il est un peu blême, mais souriant. Pourtant, je remarque que ses yeux ne sourient pas, ils sont encore tristes. Une boule se forme dans ma gorge. 

- Je suis désolée, je t'ai blessé et j'ai...j'ai même pas eu le courage de te demander pardon. J'ai tellement honte. 

Mes yeux se brouillent. Adil s'approche de moi et me prend par la taille. Il dégage quelques mèches rebelles de mon visage et les cale derrière mon oreille. Ses mains sont douces mais froides. Mais contrairement à d'habitude, elles ne tremblent pas. Je me sens soudain plus vivante. Je sens mes joues se chauffer.

- Et je voulais te dire que...moi aussi je t'aime. 

Il semble un peu déconcerté par mes paroles. Il cligne plusieurs fois des yeux, hagard. Je ne lui laisse pas le temps de répondre ; je l'embrasse. Il se fige puis se détend au fur et à mesure que je passe mes mains dans ses cheveux. Ses mains restent accrochées à ma taille fermement. Puis lorsque nous nous séparons, nous sommes tous les deux essoufflés. Son visage est tout rouge. Ses mains lâchent ma taille lentement. Ses yeux parcourent mon visage. Il dégage mes cheveux tendrement et approche ses lèvres de mon oreille.

- Je le refais quand tu veux, chuchote-t-il d'une voix rauque.

Je souris en levant un sourcil, le faisant rougir un peu plus. Puis il regarde au dessus de mon épaule. Malo court vers nous et se jette sur lui. Il le prend dans ses bras et se diriger vers la voiture de sa mère. Puis il me fait un signe timide et ouvre la portière. Soudain, je le vois vaciller, la main toujours accrochée celle-ci. Je me précipite vers lui, inquiète. Il s'accroche alors à moi pour rester debout. Sa mère contourne l'avant de la voiture pour nous rejoindre. Il serre la mâchoire d'une façon bizarre.

- Adil, qu'est ce...? Commence-t-elle.

Mais il lâche la portière, puis mon bras et tombe en avant. J'ai le réflexe de tendre la main sous sa tête avant qu'elle ne touche le sol. Il s'est évanoui. Sa mère reste pétrifiée. Je cherche son pouls. Il est anormalement bas. 

- Les secours, vite ! Je m'écrie en ouvrant les boutons de son sweat. Appelez les secours !

Mais elle reste fixée sur Adil, affolée et choquée par ce qui vient d'arriver. 

- Alicia ! 

Elle semble enfin prendre conscience de la situation et plonge, littéralement, dans la voiture à la rechercher de son sac. Je tapote légèrement la joue d'Adil. Machinalement, je recherche son pouls. Il est bien trop lent. J'entends Alicia parler au téléphone, mais ses paroles sont inaudibles pour moi. Je me concentre sur lui. Je t'aime Adil, reste avec moi !

- Allez, Adil, je t'en supplie...je sanglote le visage tout près du sien. Reste avec nous, s'il te plaît...

Aucune réaction. Je lève alors la tête, suppliante. Des hommes, derrière le grillage, s'agitent devant l'entrée de la prison, comprenant que quelque chose ne va pas. Après un temps, trois accourent vers nous pour nous venir en aide. 

- Mesdames ? Que s'est-il passé ? Questionne l'un d'eux. 

Je n'arrive pas à répondre. Je caresse ses cheveux et mes larmes lui tombent sur le visage. Un des hommes me pousse gentiment et me parle. Mais je suis fixée sur mon amoureux, sur celui que j'aime. Mes oreilles sifflent. Je vois ces étrangers le positionner bizarrement, sur le côté. Sa mère s'agenouille près de moi et éclate en sanglots. Un temps plus tard, les urgences arrivent et des urgentistes le place sur un brancard. Mais une fois qu'il y est allongé, quelque chose ne va pas. Une des urgentistes crie alors quelque chose. Elle le repose par terre à l'aide de ses coéquipiers et prépare un défibrillateur. Son cœur s'est arrêté. Pendant ce temps, un autre entreprend un massage cardiaque. Sans succès apparemment, car il prend son pouls puis recommence. Je détourne les yeux. Il y a quelques minutes, ses lèvres étaient sur les miennes. Maintenant, elles sont figées, endormies en même temps que tout le reste de son corps. Et ça, je ne peux pas le supporter. Haletante, je vomis dans un sursaut. Je vomis plusieurs fois sans m'arrêter. Tout est fini. Tout se fissure. Je meurs moi aussi. 

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant