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- Affamé, je suis affamé !

- Non, je t'en prie ne lui fais pas de mal...je...je vais te donner ce que tu veux okay ? 

Une gifle. Puis deux et elle commence à gémir. Il se tourne vers moi, les yeux  rouges, sans pourtant me voir totalement. Depuis ma cachette, je peux sentir son odeur de cigarette, ses mains rugueuses à force de frapper, ses jambes musclées à force de courir.

- Espèce de sal*** ! J'te retrouverais, p'tit, et je te frapperais jusqu'à ce que tu saigne de tout ton corps ! Je...

Il me voit. Je le sens à son regard, à ses narines qui frémissent. Son corps se met en alerte, en position de combat. Il s'avance rapidement en marchant lourdement sur le parquet. BAM. BAM. BAM. Ses pas semblent synchronisés avec les battements de mon cœur. 

- Non !

Elle crie encore et encore mais c'est trop tard. Je vois mon moi, mon ancien moi, se faire ruer de coup au rythme des cris de ma mère, ma magnifique mère. Et après une dizaine de coups, seul un cri retentit, un cri de douleur, presque inhumain.

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Je me lève lentement, le corps en sueur. Je gémis, les yeux fermés. Quand j'ouvre les yeux, je manque de crier en voyant un miroir juste en face du lit. Je ne suis pas chez moi ; j'ai l'impression d'être tout le temps aux abois. Je me lève d'un bond et me dirige vers le bureau. Essoufflé et sentant la colère monter en moi, je renverse tous les crayons du pot. Je renverse tout ce qui se trouve sur la table : les feuilles, les cahiers, les fils de chargeurs. Une fois tout renversé, je prends le pot et le balance sur le miroir. Cela ne provoque qu'une minuscule fissure. Mon corps n'est plus que haine. Je me précipite devant et envoie mon poing. Encore et encore. Je ne vois même plus les larmes qui coulent de mes yeux haineux, je ne sens même plus le sang qui coule de mes poings. Le miroir se fissure en pleins de petits morceaux. Soudain, je vois la porte s'ouvrir d'un coup. Mon cousin et ma grand mère se trouvent devant la porte. Mais je ne leur prête pas attention. J'avance encore mon poing de ce qui reste du miroir, où j'aperçois la moitié de mon visage.

- Adil non ! Crie soudain ma mère. 

Elle se précipite vers moi mais je recule. Je manque de marcher sur un bout de verre tranchant. Je m'adosse sur le bureau. Elle reste devant moi, les bras toujours écartés et les yeux inquiets. Je suppose que j'ai l'air aussi effrayé qu'elle car je tremble. 

- C'est une horreur ! S'indigne tout à coup ma grand mère. Casser un miroir en pleine nuit ?! Voyez vous ça...c'est une honte ! Une honte !

Ma mère se retourne lentement tandis que je baisse la tête. La lumière s'allume. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m'habituer à cette luminosité jaunâtre. Cinq personnes se retrouvent désormais à la porte. Ma grand-mère continue à jurer dans sa barbe. Je leur tourne alors le dos.

- Okay, maman laisse moi juste...commence ma mère.

- Nan ça suffit. Lui coupe-t-elle d'un ton tranchant. Alicia, j'ai accepté que vous veniez dormir à la maison à une condition. Une seule. Rappelle-nous ce que tu nous a promis, hein ?

Je vois du coin de l'oeil ma mère abaisser ses épaules. Je sens que la tension monte. Et comme d'habitude c'est ma faute. Oh t'entends ? Ta faute, ta faute, ta faute p'tit ! Encore cette voix.

- J'ai promis qu'Adil resterait tranquille, murmure ma mère. Maman tu sais très bien que...

- Tu-tut ! Fait-elle d'une voix nasillarde. J'en ai rien à faire de quelle maladie mentale ton fils souffre Alicia ! Tu as vu combien de fois j'ai du réparer ses bêtises, combien de fois j'ai du céder à ces caprices, combien de fois j'ai du me taire ? Trop de fois ! Ce garçon est perturbé et tu ne veux pas l'admettre. Il n'a rien a faire ici. Vous n'avez plus rien à faire ici. 

- Perturbé ?! S'exclame ma mère, furieuse. J'ai bien compris qu'il n'est pas comme les autres mais à t'entendre il devrait aller en hôpital psy !

- C'est pas ce que maman a voulu dire, Alicia, intervient alors l'un de ses frères. 

Je n'ose toujours pas bouger de peur d'affronter leurs regards. Ta faute, ta faute...

- C'est exactement ce que j'ai voulu dire, rétorque l'intéressée d'un ton ferme. Il faut placer cet enfant. Cela ne peut plus durer. Regarde les choses en face, Alicia...

Puis j'entends des pas qui se précipitent vers le couloir. Ma mère et moi sommes à présents seuls dans cette pièce. Je regarde mes mains en sang. Qu'est ce que j'ai fait ? 

- Prépare tes affaires on s'en va, annonce alors ma mère. 

Je m'attends à ce qu'elle vient me voir mais j'entends la porte claquer. 

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J'ai pour la millième fois les mains bandées et le visage marqué par des cernes. J'ai enfilé un sweat bleu et un jean un peu trop large. Mes converses, usées, sont accrochées à mes pieds. Ma valise est déjà faite ; toutes mes affaires se sont retrouvées en boule dans un sac de sport. Je m'empresse de ramasser les bouts de verre en un tas. Puis j'en prends un et me regarde dans la glace. Mes yeux sont tristes et éteins, mon teint est pâle et seules mes lèvres restent colorées, redonnant vie à mon visage pathétique. Je mets ma capuche et me précipite vers la cuisine sans croiser personne. Je prends un sac poubelle rapidement mais je suis attiré par les voix fortes du salon. Pourtant, je ne préfère pas écouter au risque de casser encore quelque chose. Après avoir fait le ménage dans la chambre, je prends mon sac et me retrouve devant la porte du salon. Je l'ouvre doucement en essayant d'être discret. Raté. Six paires de yeux se tournent vers moi. Ma grand-mère m'ignore et se lève, sa canne à la main. 

- Je pense que c'est l'heure de partir, dit-elle. Qui sait si ce n'est pas pour toujours...

Ma mère se lève à son tour mais moins gracieusement. Ses sourcils se froncent, creusant ses rides du front. J'aimerais la prendre dans mes bras mais le moment semble mal choisi.

- Pour toujours ?! S'étonne ma mère.

- Je ne veux plus revoir ce garçon dans ma maison, crache-t-elle avec un coup de canne sur le carrelage. Plus jamais.

Mon cœur bondit. Non pas ça...

- Maman s'il te plaît...implore ma mère comme une enfant.

- Cet enfant n'a pas sa place ici tu m'entends ? Explose soudain sa mère. Il n'a jamais été mon petit-fils...Tout comme son père n'a jamais été mon gendre !

Ma mère pâlit en une fraction de seconde et l'un de mes cousins lâche un petit cri. Des larmes me montent au yeux. J'ouvre la porte d'un geste brusque et sors. Puis je cours vers la porte d'entrée et tourne les clés avec des mains tremblantes. Une fois dehors, je cours le plus vite possible vers une destination inconnue avec mon sac à bout de bras.

Ta faute, ta faute, ta faute, ta faute, ta faute...

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant