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Mes oreilles n'arrêtent plus de siffler. Mis à part ça et ma hanche en sang, je ne suis pas trop amoché. La fille m'a percuté la cuisse droite, et je suis tombé sur le même côté. Des bleus et quelques cicatrices en plus ne me tueront pas. Je m'assois sur mon skate et remonte mon pantalon. Je soupire en voyant la marque rouge que ma blessure a laissé sur mon jean.

- Hey mec, ça va ? Me lance un punk en s'accroupissant devant moi. J'ai vu ta chute, tu t'es sacrément amoché...d'ailleurs la fille est bien blessée elle aussi.

La fille, mais oui bien sûr...! Je me lève brusquement et m'approche du petit groupe de personnes, venues en aide. Mon cœur tambourine encore. Certains discutent, d'autres tendent des mouchoirs et puis il y a moi, plantée avec mon jean retroussé, mon regard fixé sur la fille au centre de l'attention. Elle est habillée avec des vêtements larges et son sarwel est troué et taché au niveau des genoux. Ses cheveux bruns, frisés et longs, tombent sur ses épaules et lui cachent le visage. Un visage doux, mais des yeux en amande et perçants. Tout à coup, elle lève la tête vers moi et me fixe avec de grands yeux. Les gens s'en vont alors petit à petit en lui souhaitant des "bonne chance" et il ne reste plus que moi, elle, nous au milieu de cette piste cyclable. Elle écarte ses cheveux et s'éponge le nez avant de s'approcher.

- J'suis désolée, assène-t-elle, je t'ai pas vu arriver. J'étais dans mes pensées et...enfin bref je m'excuse. Tu t'es fais mal à ce que je vois, non ?

Elle m'observe des pieds à la tête et fait une moue.

- Non, ça va, je lui assure en évitant son regard.

Je redescends lentement mon pantalon et glisse mes mains, tremblantes, dans ma poche. Ses yeux noirs me fixent toujours aussi intensément. Je ne me sens tout à coup plus du tout à l'aise.

- Bon, je continue platement. Je vais rentrer à pied.

Elle semble hésiter à me retenir et ramasse son vélo, balancé sur le côté de la piste. Je lui tourne le dos et m'apprête à m'en aller quand elle me retient par le bras.

- Je peux te déposer, assure-t-elle, le visage fermé.

Je repousse sa main lentement et secoue la tête. Pas la voiture, surtout pas. Je l'observe à la dérobée, cherchant une émotion, un sentiment, quelque chose d'autre que ce visage impassible. Elle se trouve désormais à mes côtés, prête à m'accompagner, le vélo seul nous sépare. Qui es tu bordel ?

- En...euh, en voiture ? Je réussis à bafouiller, trop plein de pensées à l'esprit.

- Bah oui, je vais pas t'emmener à vélo !

- Je vais rentrer à pied, j'insiste, glissant ma main qui saigne hors de ma poche.

Elle se tamponne une nouvelle fois le bout du nez et hausse les épaules en signe de compréhension. Elle me fait un demi sourire et me salue de la main.

- Hé ! S'écrie-t-elle après un moment. C'est quoi ton nom au fait ?

Je lui tourne le dos en souriant mystérieusement. Elle le saura au moment voulu...

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Ma mère n'est pas là quand je rentre. Cela ne m'étonne pas mais le fait que Malo ne soit pas là non plus me frustre. Je balance mon skate dans un coin de la chambre et file dans la salle de bains. Là, je me déshabille entièrement avant de prendre une douche, sans me poser de question. Je ferme les yeux sous l'eau chaude. Soudain, un flash-back me revient, et je commence à trembler.

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Non, non, non !

Adil, allez viens ici garçon...

Je ne veux pas !

Oh, hé bien tu sais à quoi t'attendre alors...!

Non, non, non !

Je hurle comme un fou tandis que l'eau chaude mouille mes larmes, que je me vois en sang et que mes blessures brûlent. Ma vue se brouille. Après quelques minutes seulement, je sors précipitamment de la douche. Même la douche me rappelle trop de souvenirs horribles. Je titube jusqu'à ma grande serviette et m'enroule dedans. Puis, après m'être séché, toujours avec ma serviette sur moi, j'attrappe un rouleau de bandage et un désinfectant.

- Adil ?! Crie soudain ma mère, sa voix étouffée.

J'ai juste le temps de finir rapidement de soigner toute cette catastrophe.

- Oui, je suis là, je lui réponds du même ton.

J'entends Malo courir en aboyant. Cela me suffit à retrouver le moral. Je finis de mettre un dernier pansement et sors de la salle de bains en peignoir. Je file dans ma chambre et cherche des habits qui pourraient cacher mon corps en entier. Un sweat et un jean plus tard, j'entre dans le salon en agitant les mains. Je sens l'adrénaline monter. Mon humeur n'est même plus contrôlée. Ma mère est là, dans la cuisine et sors quelques boîtes de céréales bio de son sac.

- T'as passé une bonne journée ? Me demande-t-elle.

- Oui ! Je m'écris d'une voix aiguë.

Elle rit mais lorsque je m'approche pour l'aider, son sourire disparait. Elle fixe ma main droite, qui est désormais bandée à cause de ma chute. Son regard se lève vers moi. Elle lâche ce qu'elle tenait quelques secondes plus tôt et croise les bras en fronçant les sourcils.

- Adil...commence-t-elle

- Non ! Je m'écrie beaucoup trop joyeux. Tu sais quoi ? Je crois que je vais me lancer dans l'escalade...ouais, l'escalade c'est bien. Et puis la peinture...la peinture m'aiderait non ? Les photos ne m'intéressent plus...depuis, depuis, depuis bah tu sais...

Sa main se pose sur mon bras et je retiens ma respiration. Qu'est ce que j'étais en train de dire ?

- Tu sais bien que tu ne peux pas me cacher ça hein ? Montre moi où...

- Oh je viens d'avoir une idée grandiose ! Je m'exclame sans écouter un mot de ce qu'elle raconte, me balançant de droite à gauche pour évacuer mon énergie débordante. Wow, j'en reviens pas que je sois aussi intelligent haha ! Pas vrai ?

Puis je sautille sans faire attention à mes blessures, l'esprit vague, le cœur rempli d'une immense joie éphémère.

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant