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Ma mère éteint le moteur et je respire enfin. Le silence est pesant. Devant nous se dresse un bâtiment simple, entouré de barbelés. Les barbelés sont ensuite suivi de quelques mètres par de grands grillages. Je souffle longuement. C'est bien la première fois que je m'approche aussi près. D'habitude, nous nous arrêtons bien plus loin ; ma mère et moi restions les yeux fixés sur ce bâtiment pendant des minutes entières. Puis, ma mère pleurait et, quelque fois, j'avais des crises d'angoisse. Mais aujourd'hui, je suis serein. Ma mère pose une main sur mon épaule, les yeux brillants. Je serre les lèvres.

- Tout ira bien, m'man. Je te le promets.

Mais elle ne semble pas convaincue. Encore une heure avant, je la suppliais de m'emmener.

- Tu n'as pas confiance en moi ? Je lui demande.

Elle soupire et replace les mains sur le volant, comme prête à repartir.

- Ce n'est pas toi qui m'inquiète le plus, avoue-t-elle. C'est lui. Je ne veux pas que tu reviennes brisé, par sa faute.

Je l'observe un moment puis sors de la voiture. Je serre dans ma main un papier. Arrivé à l'accueil, je le pose devant moi. C'est un accord écrit, de ma mère, qui me permet de visiter mon père même en mineur. Ensuite, on me fouille, me dépouille de toute affaires avant que je puisse entrer dans une pièce sombre où trône une table et deux chaises rouillées. La pièce est éclairée par deux vitres, où des agent de sécurité pénitentiaire sont postés. Je m'assois et attends. Mon cœur s'affole. Va-t-il me reconnaître ? A-t-il changé ? Est-il aussi fou qu'avant ? Tant de questions se bousculent dans ma tête en même temps que la porte s'ouvre. Je n'ose pas bouger ni regarder vers l'entrée. Il s'assoit devant moi, les jambes écartées. Je lève les yeux. Son visage est le même, sévère et dur. Ses cheveux noirs parsemés de gris sont courts mais sa barbe commence à prendre du territoire sur son visage. Quant à ses mains, menottées, elles sont aussi rèches que dans mes souvenirs. Ses yeux, noirs charbon, me scrute. Il sonde mon âme, impassible et toujours silencieux. Puis il s'affale un peu sur la chaise et se râcle la gorge.

- Salut, fils. Dit-il simplement d'une voix rauque.

Je ne dis rien, attendant la suite. Il s'humecte les lèvres.

- T'as enfin décidé de rendre visite à ton foutu père, susurre-t-il. J'te croyais moins courageux, en fait.

- Tu t'es trompé apparemment, je murmure.

Il pouffe. Son sourire est aussi comme dans mes cauchemars, diabolique. Il se penche sur la table. Je vois du coin de l'oeil les agents de sécurité se rapprocher.

- Alors ? Fait-il en me dévisageant. T'es venu pour quoi, dis moi ?

Je déglutis. C'est encore plus dur que ce que je pensais, finalement.

- T'as peur, fiston. Je le vois dans tes yeux.

- Non, je lâche mais ma voix me trahit.

Il s'humecte encore les lèvres.

- Tu sais, j'me disais bien que t'allais venir. Mais pas si tôt...pas si tôt. Pourtant t'es comme avant, lâche, faible et tu ressemble vachement à ta mère, bordel. C'est sacrément surprenant à quel point tous les deux vous êtes des...

- Tais toi ! Je m'écris d'un coup.

Un sourire victorieux se dessine sur son visage. Il l'a fait exprès, et moi, je suis tombé dans son piège. Je détourne les yeux. Sous la table, mes mains tremblent. Je me sens faiblir.

- On se rebelle mon garçon ? Ricane-t-il. C'est un peu trop tard tu trouves pas ? J'ai déjà fait tout le boulot. Maintenant, grâce à moi, t'es un homme. T'es assez dur pour affronter cette fichue vie, hein ?!

Je lui lance un regard noir.

- Tu penses que c'est une raison ? Je m'exclame. Que tout ce que tu m'as fait était un put*** de devoir ?!

Son sourire se fige. Il me transperce du regard et serre les poings.

- Tout ces trucs c'est des conneries ! Crie-t-il. Tu crois que c'est l'amour qui va te sauver ?! Tu crois que parce que ta mère te dit que tout va bien, tout va bien ? J'ai jamais connu cette mer**, moi. Parce que tout ça, c'est du baratin. Crois ce que tu veux, mais moi j'ai fait ce que j'avais à faire.

Je bouillonne.

- Laisse moi te dire une chose : tu as tort, je riposte vivement. Tu t'es pris pour un héros, mais en fait t'es qu'un monstre dans cette histoire. Je suis venu pour que tu saches que c'est fini. C'est fini ; j'ai plus peur de toi. Ni de moi-même d'ailleurs. Toute ma vie, mes cauchemars m'ont hanté. J'ai souffert pendant trop longtemps. Maintenant, je veux vivre ma vie sans t'avoir dans l'esprit. Tu me prends toujours pour un lâche, maintenant ? Tu te crois toujours invincible ?

Son regard reste impassible. Ensuite il ricane. Un rire amer et horriblement long traverse la pièce. Puis il soupire et passe ses mains enchaînées dans sa barbe. Je fronce les sourcils.

- Vous vous ressemblez trop, ta mère et toi, tonne mon père. Elle t'as dit qu'elle m'avait vu il y a quelques semaines ? Bordel, c'est les mêmes phrases que tu m'chante là. Le même baratin...

Je me redresse. Ma mère l'a revu ou est ce que c'est encore une de ses manipulation ? Il rit encore, mais moins longtemps. Je n'arrive toujours pas à le cerner.

- T'as plus peur ? Bah vas-y, garçon, vis ta vie ! J't'ai jamais empêcher de la vivre ; j'suis en prison. Mais sache que tu ne peux m'oublier. Tu le sais au fond de toi, tu peux pas lâcher ces souvenirs. Cette fois où tu cris de douleur devant moi, où tu me supplis d'arrêter de frapper le mur, où tu vois du sang dans la baignoire. J'me souviens. Et tant que j'me souviens, toi aussi !

Je cligne des yeux. Encore une fois, il a raison. Alors que je m'apprête à lui dire ce que je pense, les hommes ouvrent la porte.

- La séance est finie, déclare l'un d'eux d'une voix ferme.

Mon père me fixe encore quand ils le prennent par le bras. Il ne dit rien mais son regard me menace jusqu'à la dernière seconde. Je le suis des yeux. Puis, lorsque je ne le vois plus, je me sens renaître. Ma peur, ma honte, ma douleur et toute ma haine semblent envolées. Disparues. Je peux enfin oublier. Et vivre.

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant