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Avant même d'ouvrir les yeux, je sais que je suis dans un hôpital. J'entends les petits bruits incessants des machines, tout près de moi. Une odeur de désinfectant inonde la pièce. Je sens des petits tuyaux dans chacune de mes narines et j'ai une folle envie de les retirer. Tous mes sens sont en alertes. Combien de fois ai-je déjà atterri dans un hôpital ? Elles sont trop nombreuses. J'ouvre enfin les yeux, pour découvrir un mur parfaitement blanc. Je lève mon bras gauche lentement. Un bracelet est attaché à mon poignet. Je redresse un peu la tête et vois à mes côtés deux jeunes hommes. Je plisse les yeux, encore aveuglé par la lumière blanche de la pièce. L'un d'eux est grand et robuste, l'autre plus petit et souriant. 

- Salut mon pote ! Lance celui-ci. 

Je cligne des yeux. La lumière est trop forte pour moi. J'ai l'impression de suffoquer. 

- Tom, va éteindre la lumière, fait l'autre d'une voix grave. Je pense qu'il ne se sent pas bien avec cette lumière aveuglante.

Une fois que la luminosité a diminuée, je me sens mieux. Je tourne la tête vers eux. Tom. Léo. Je les reconnais enfin ; ce sont les frères d'Anna. Tom porte une casquette à l'envers, mes ses cheveux semblent la rendre insignifiante sur sa tête. Il sourit de toutes ses dents. Léo est plus calme mais esquisse aussi un sourire. 

- Salut, je fais d'une voix rouillée.

Tom s'approche un peu plus de moi. 

- On a eu peur pour toi, tu sais, m'avoue-t-il avec une moue. Depuis ton arrêt cardiaque, ça fait trois jours que t'étais inconscient. Anna devenait folle, ajoute-t-il rapidement. 

- Trois jours ? Je répète, las.

Je passe la langue sur mes lèvres. Une nausée me monte à la gorge.

- Ma mère est venue ? Je demande d'une voix encore plus faible.

Léo fait glisser son tabouret à côté de son frère et croise les bras. Il échange un regard avec ce dernier.

- Tous les jours, répond-il au bout d'un moment. Elle restait toute la journée avec toi, et les deux premiers jours, elle a dormi à tes côtés. Hier, on lui a dit qu'on s'en occuperait. Elle était vraiment épuisée. 

Je sens ma poitrine se comprimer. J'ai soudain très soif. Je tourne la tête vers la droite et y trouve un verre d'eau sur un plateau. Je tends la main. Ce seul mouvement me donne la nausée. Tom m'aide à boire délicatement. Puis il m'offre encore son beau sourire. C'est de famille apparemment...

- Et Anna ? Je demande en me tournant vers son grand frère. Elle est venue ?

- Non, répond spontanément Léo. 

Je fronce les sourcils. 

- C'était trop dur pour elle, poursuit-il toujours les bras croisés. Même pour nous, c'était difficile de te voir, branché à toutes ses machines. Ça nous rappelait quand notre sœur était dans le coma après sa grande chute. 

Je me racle la gorge. Tom et Léo s'échangent encore un regard. 

- Y a quelque chose que je dois savoir ? Je bredouille, la bouche toujours sèche après avoir bu. Vous me cachez un truc.

Léo s'agite sur son tabouret. Il semble hésiter.

- Tu as une idée de pourquoi tu as fait cet arrêt cardiaque ? Me questionne-t-il.

- C'est quoi cette question ? Je m'offusque d'un coup. Vous pensez que je voulais mettre fin à mes jours c'est ça ?

- Adil, le prends pas mal mais...

Il s'arrête, comme pour s'assurer que j'écoute toujours. Tom évite mon regard. Mes yeux jonglent entre les deux frères. Je sens le doute s'installer en moi. Est ce que j'ai eu l'intention de le faire ? Oui. Alors pourquoi j'ai l'impression du contraire, bordel ?

- ...on l'a tous pensé, termine Léo avec des yeux brillants.

- Quoi ?! Je m'écrie d'un coup. 

Dans ma surprise, je me suis redressé sur mes coudes, tirant sur l'un des fils accroché à mes bras. Soudain, quelques secondes plus tard, deux infirmières arrivent en vitesse. Lorsqu'elles me voient, elles sourient. Puis l'une d'elle vérifie mes branchements et prends ma pulsation.

- Nous sommes ravis de vous voir réveillé, Mr Castagnet, déclare l'autre. C'est normal que vous vous sentiez un peu dans les vapes au début, mais il n'y a aucune raison que cet état persiste. Si vous voulez parlez, nous sommes à votre disposition. Et n'hésitez pas à nous appeler en cas de problème, même quelconque, d'accord ?

Je cligne des yeux, pas sûr d'avoir tout compris. Elle a parlé trop vite pour moi. L'autre infirmière soulève légèrement mon t-shirt et palpe mon abdomen. Puis elle se retire. 

- Messieurs, ne tardez pas trop, avertit-elle. Il doit se reposer. 

- Bien sûr, madame, répond poliment Tom. 

Une fois les deux femmes parties, je lance un regard noir à Léo. Il me regarde d'un air confus. 

- Adil, tu m'as dit que tu voulais voir Anna une dernière fois, lâche-t-il d'une voix plaintive. Alors j'ai pensé que t'avais l'intention de...tu vois...

- Tu n'en savais rien !

- Bah justement ! T'as ressorti le même discours avec ma sœur l'autre jour et...on y a tous cru ! Comment savoir ? Tu avais déjà essayé de te suicider avant. On avait peur pour toi. Tous ce qu'on voulait, c'était être sûrs que t'allait bien. Même ta mère l'a senti, et elle a tout de suite appelé Anna quand tu es parti visiter ton père. 

Je passe les mains sur mon visage. Je reste les yeux fermés pendant un moment. Puis je reprends une gorgée d'eau, le cœur battant.

- Je sais pas, je murmure, les yeux fixés sur le fond d'eau dans mon verre.

- Tu ne sais pas ? S'étonne Tom. Est ce que tu as pris plus de médicaments qu'il ne fallait ? 

Je cligne des yeux. Je tremble. Je me revois dans la salle de bain, mes bras agrippent les bords du lavabo. Ma tête est penchée en avant. Je me vois tendre le bras vers le flacon. Et là, plus rien. Je lève les yeux vers Léo. 

- Je ne sais pas, je répète. C'est comme si...comme si mon cerveau avait effacé ce souvenir. J'y arrive pas. Je sais, je suis qu'un bon à rien, j'ajoute dans un souffle.

Je le vois sourire et s'approcher de moi. Il pose une main sur mon bras. Je plisse les yeux, la vue soudainement troublée. Je vois de plus en plus flou apparemment. 

- Adil, tu comptes pour nous ; pour moi, pour Anna, pour ta mère. Personne n'est contre toi. N'ai pas peur de toi-même.

Je déglutis. Ma nausée semble s'être volatilisée.

- J'ai peur parce que je ne me connais plus, je réplique d'une voix encore frêle. Je ne sais plus qui je suis. Regarde moi ; je suis bipolaire, je suis dépressif, je suis hanté par mon père...!

Sa main me presse le bras doucement. 

- Tu n'as pas à avoir honte de tes défauts, eux seuls peuvent te montrer qui tu es réellement. Je te connais pas comme ma sœur te connait, mais je sais que tu es formidable. 

Puis il lâche mon bras et recule. Léo passe un bras autour des épaules de son petit frère et me fait un petit signe avant de quitter la pièce. Je détourne les yeux, affaibli et pourtant extraordinairement bien. J'ai retrouvé le sourire. Ensuite, après quelques minutes à rester là sans bouger, je m'endors. 

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant