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C'est la tête lourde mais l'esprit léger que je rentre, mon skate dans les bras, mon sac sur les épaules et mon bonnet sur la tête. Je sifflote et au moment où j'ouvre la porte, une odeur de sauce à la tomate me chatouille le bout du nez. Ma mère, dans la cuisine, prépare un repas et, en me voyant, me fait un petit sourire. Je me sens mal à l'aise en la voyant encore avec des cernes. Je m'agite et dépose mes affaires rapidement.

- J'suis désolé m'man, je bafouille penaud. J'aurais du rentrer plus tôt pour faire la cuisine.

- Non ne t'inquiète pas Adil, sourit-elle. J'ai fini deux heures plus tôt de toute façon. Alors, tu as bien révisé ?

- Ouais attends je reviens, je la préviens en reprenant mon skate.

Je file dans ma chambre et souffle longuement. Mon hyperactivité me gêne de plus en plus, au point que je n'arrête plus de cligner des yeux toutes les deux secondes. J'avale une pilule directement, les mains tremblantes. Je reste quelques minutes, mains à plats sur mon bureau, la tête penchée en avant et contrôle ma respiration. Puis, me sentant un peu mieux, je rejoins ma mère dans la cuisine. Je me tiens derrière elle et regarde ce qu'elle prépare. Des lasagnes. Mon plat préféré depuis mon enfance mouvementée. Elle penche la tête sur le côté et sa queue de cheval se balance sur son épaule.

- Tu es resté à la médiathèque ? Me demande-t-elle curieusement.

- Bah oui.

Elle me regarde du coin de l'oeil, suspicieuse. Oh non, je n'aime pas ce regard...

- Alors comment ça se fait que tu es encore si joyeux ?

Je fronce les sourcils. Encore ?

- Je ne comprends pas...tu insinues que je devrais passer à ma phase de conn*** dépressif ?! Je grimace en reculant.

Elle stoppe son geste et soupire. Puis elle se tourne vers moi.

- Non, tu es tout sauf ça. Oublie ce que j'ai dis veux tu ?

Mon visage se crispe pendant qu'elle continue en me parlant de mes révisions. Je réponds vaguement à ses questions. Puis je commence à mettre la table, la tête vide de pensées. Sa main arrive sur la mienne, sans que j'essaye de la retirer.

- Qu'est ce qu'il y a en ce moment ? Il y a quelque chose qui te tracasse, je le sais Adil. Tu étais très en colère ce matin et j'ai pensé que c'était de ma faute. Je veux simplement que tu te sentes bien dans cette nouvelle ville, tu comprends ?

Je baisse les yeux instinctivement.

- Je ne sais pas. J'aimerais simplement faire autre chose que réviser et faire du skate. Quand je vois tous ces gens ensemble, je me dis...je me dis que moi aussi j'aimerais me faire des amis, avoir un petit groupe...

- Oh, Adil, commente doucement ma mère.

- ...mais je sais que je vais tout foirer après, je continue, inlassablement dépité.

Je lui prends le plat des mains et le pose sur la table pendant qu'elle passe les mains sur son visage. Puis elle s'assoie en face de moi, son regard clair rivé sur mon visage.

- Tu ne veux toujours pas me raconter ce qu'il s'est passé la dernière fois...quand tu es tombé ?

Elle me tend mon assiette où une part de lasagne trône, encore chaude, au milieu des dessins gravés sur la porcelaine. Je baisse encore une fois la tête et avale un bout de viande.

- Je suis tombé sur le trottoir, je lâche finalement comme un aveu.

- Et c'est tout ? Insiste ma mère.

- Mais tu veux quoi à la fin ?! Je m'écrie brusquement. J'ai percuté une fille et je suis tombé. C'est tout, point à la ligne bordel !

Elle redresse la tête et je vois ses yeux briller. Je sais qu'elle souffre de me voir comme ça, perdu, tantôt insensible, tantôt hypersensible, oscillant sur des cauchemars et des illusions. Moi même, je n'en peux plus.

- J'suis désolé, je bafouille. Je...je suis fatigué.

Elle hoche la tête mais ne dit rien. Elle continue de manger sans me lâcher des yeux.

- J'ai...j'ai rencontré une fille, j'explique finalement. En fait, c'est elle qui m'a percuté la dernière fois. Je lui en ai pas voulu parce que j'étais dans les vapes et je ne savais même plus ce que je faisais. Je ne savais pas son nom jusqu'à aujourd'hui. Elle m'a reconnu et m'a aidé à comprendre des exos de maths, puisqu'elle est en fac de médecine.

Je relève les yeux vers ma mère. Son sourire revient et s'allonge sur son visage, creusant quelques rides sur le coin de ses yeux.

- Comment s'appelle-t-elle ?

- Anna.

- Et tu l'apprécies ?

Je hausse les épaules. Comment répondre à cette question ?

- L'apprécier est un grand mot m'man. Je sais pas trop...

En vérité, j'ai déjà une idée, mais je préfère ne rien dire. J'aimerais la revoir encore une fois pour en apprendre plus sur elle. Je retourne mon attention sur mon assiette, me préparant à sa prochaine question.

- Et elle est jolie ? Demande malicieusement ma mère tout à coup.

Je manque de m'étouffer avec un autre morceau de viande tellement cette question me prend par surprise. Ma mère sait très bien que je trouve souvent des filles belles, la plupart du temps des filles qui sont moquées à cause de leur poids, leur couleur ou même leur façon de voir les choses. Pourtant, aussi loin que je me rappelle, je ne suis jamais tombé amoureux. Amoureux de la pluie et des sensations fortes mais jamais d'un être humain.

- 'Pas mal ouais, je réponds en essayant de ne pas pouffer.

Mais en voyant ma mère sourire avec de grands yeux ronds, je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Elle m'imite après quelques secondes, rigole doucement puis éclate d'un rire bruyant. Nous nous retrouvons à nous regarder, les yeux mouillés, la sauce tomate aux lèvres en essayant de ne pas recommencer à nous torturer les abdominos.

Si seulement j'étais aussi heureux tous les jours...!

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant