-
Tandis que Tom continue ses blagues pourries et que John rit bizarrement, Adil s'éloigne lentement du groupe. Il fait presque nuit et nous ne sommes pas rentrés au gîte. Il n'est pas très loin, mais je pense qu'Adil va devoir faire de la route pour rejoindre sa famille, à ce que j'ai cru comprendre. Je me lève discrètement et le rejoins. Il a les bras croisés sur sa poitrine qui se soulève vite, et les yeux hagards. Je l'observe, interdite.
- Adil, ça va ?
Il sursaute, les yeux grands ouverts. Il cligne plusieurs fois des yeux avant de se racler la gorge. Il toussote et je vois ses yeux fuir mon regard. Je l'observe tripoter son bonnet et il semble ne pas pouvoir rester tranquille. Il se balance d'une jambe à l'autre autant à cause du froid que de son hyperactivité.
- Il faut que je rentre, répond Adil simplement.
Je hoche la tête, sans trop savoir quoi dire. Un silence gênant et glaçant s'installe alors entre nous. J'ai l'impression que depuis que j'ai fini la course, ces silences aiment bien se glisser entre nos conversations. Pour combler ce blanc, je lève la tête pour regarder les arbres gigantesques et sombres. La nature ici est vraiment belle quoique parfois effrayante. Je regrette soudain de ne pas avoir ramener mon manteau avec moi. Il commence à faire vraiment froid, et je sens son corps trembler à quelques centimètres de moi. Est ce le froid ou...?
- J'ai peur du noir tu sais, lâche-t-il soudain la tête baissée. Je ne supporte pas l'absence de lumière, tout ça...et là il commence à se faire tard. C'est insupportable.
- C'est aussi à cause de ta bipolarité ? Je lui demande en fronçant les sourcils. Ou alors c'est autre chose ?
Il reste impassible un moment puis recommence à s'agiter machinalement. D'habitude ces gestes ne me dérangent pas mais là, ça commence à me taper sur les nerfs.
- Peut-être bien...Continue-t-il d'une voix haletante. Anna je crois que...
Bordel. Il s'arrête et me prend tout à coup le bras, le visage baissé. Mon pouls s'accélère. Qu'est ce qu'il lui arrive ?
- Je crois que je vais faire une crise de panique, chuchote-t-il en tremblant plus fort.
Il resserre sa main sur mon poignet et je sens une appréhension m'envahir. Je me retourne pour voir notre petit groupe rire sans me voir. Adil respire bruyamment et j'ai l'impression que ma respiration suit la sienne.
- Okay okay on se calme, je bafouille. Calme toi Adil...je suis là ! Je suis là okay ?
Je le prends par les épaules et relève sa tête. Ses yeux me fixent et malgré la lumière qui diminue, j'arrive à apercevoir sa peur. J'essaye de le prendre dans mes bras, malgré moi, mais il se laisse glisser sur le sol. Mer** ! Il s'assoit par terre et sa respiration devient même sifflante. Je m'accroupis devant lui et prends son visage dans mes mains.
- Adil, reprends-toi s'il te plaît...
Il secoue la tête et serre les lèvres. Il ferme les yeux et je crois qu'il pleure. Pourtant, je n'en suis pas sûre car il fait déjà assez noir pour que je ne puisse plus distinguer les arbres. Alors pourquoi suis-je en train de croire qu'il pleure, bon sang ?!
- J'y arrive pas, Anna...
Il essaye de reprendre sa respiration mais manque de s'étouffer. Je prends ses mains froides et le regarde dans les yeux. Comment on est censé réagir ? J'appelle les secours ? Je le gifle ?
- Okay juste respire, j'insiste toujours mes mains entremêlées aux siennes. Inspire un bon coup et expire à fond !
Il essaye encore et encore, en vain. Bon, j'abandonne !
- Hey ! Je crie alors. Les gars !
Je vois d'abord mes frères se retourner puis la mère d'Adil. Celle-ci comprend soudain que quelque chose ne va pas. Elle se précipite vers nous et dévale la pente. Mon père et mes frères la suivent au même rythme. Lorsqu'elle arrive près d'Adil, elle s'arrête, essoufflée. Tom et Léo arrivent en même temps, inquiets. Tom me fait un signe de tête et je hausse les épaules même si mon cœur bat à la chamade. John arrive après, les mains sur les hanches et le visage sévère.
- Okay tout va bien je vais arranger ça, me rassure-t-elle en me tapotant le bras. Laissez-nous, je gère.
Mon père passe un bras autour de moi et m'éloigne. Je ferme les yeux et essaye de retrouver mon visage impassible. J'aurais du m'en douter ; Adil est un garçon sensible mais tellement imprévisible à la fois. Il faudrait que je le connaisse mieux.
- Tu penses qu'il va bien ? Demande d'une petite voix Tom.
- Il va s'en sortir, je lui répond sans conviction.
- T'inquiète, il a l'air costaud ce p'tit, lâche John en se frottant les mains.
- C'était une crise de panique, j'ai bien compris Anna, continue mon frère en l'ignorant.
Je me dégage de l'etreinte de mon père et monte la pente rapidement. Mon moral semble au plus bas alors que je me sentais revivre grâce à cette course. J'attrape mon sac et mon manteau. Mon père s'active à ranger quelques affaires, toujours aussi silencieux. Je me demande bien pourquoi il ne parle pas depuis tout à l'heure...
- Nan sérieusement Anna, qu'est ce que tu lui as dit ? Insiste Tom en pliant une chaise.
C'est une blague ?
- Anna, lance mon père d'un ton lent.
- Quoi "qu'est ce que je lui ai dit" ?! Je m'exclame en jetant mon manteau par terre, frustrée et surtout vexée. Qu'est ce que tu insinue hein ? Que c'est ma faute si il est dans cet état ? Que j'ai encore dit un truc qu'il ne fallait pas c'est ça ?! J'étais super bien tout ça, comme d'habitude on me sape le moral...et après on rejette la faute sur moi ?! Allez tous vous faire voir okay ?!
Je ramasse ensuite mon manteau sans croiser leur regard. Puis j'entre dans le gros Pickup, fatiguée de cette longue journée. A partir de ce moment, plus personne ne parlera d'Adil. La nuit tombe alors doucement et le silence devient de plus en plus lourd...
-
VOUS LISEZ
-Bipolaire Insensible-
Romance- Deux âmes perdues qui se rencontrent dans un univers vacillant. Adil, 17 ans, diagnostiqué bipolaire sévère, se retrouve perdu dans une nouvelle ville avec sa mère. Après dépressions et agressions, il espère retrouver la joie de vivre, à nouve...