Chapitre 1

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Alexander

« I would break down at your feet
And beg forgiveness, plead with you
But I know that it's too late
And now there's nothing I can do »
Boy's Don't Cry - The Cure

Aujourd'hui.

La moindre parcelle de mon corps tremble, la moindre infime partie de mon être frémit sans que je puisse l'arrêter. Avachi sur ma chaise de bureau, j'observe, sans réellement la voir, la nature déchainée faisant vrombir et virevolter les branches d'arbres derrière la fenêtre. Aujourd'hui, l'imposant sol-pleureur planté devant cette bonne vieille mansarde parait plus avachie encore qu'à son habitude. La moindre de ses branches semble avoir tout bonnement abandonné le désir de se redresser, se contentant de joncher négligemment le sol, comme si toute l'énergie de cet arbre majestueux avait tout juste quitté jusqu'à la plus petite branche le régissant. Au loin, j'observe un plafond noirâtre menaçant de surplomber Lawton Park et de part et d'autres de ce lugubre tableau, des feuilles verdâtres tirant doucement sur l'oranger se frayent un chemin dans les airs pour entamer ce qui pourrait s'apparenter à une danse macabre. Elles tournoient violemment les unes autour des autres, se heurtent, s'évitent de peu, descendent en piquet pour remonter tout aussi brutalement. Quelques-unes, sous la puissance des bourrasques les envoyant se fracasser les unes aux autres, semblent se broyer en ridicules petits copeaux pour acheminer leur ballet funèbre sur le goudron des trottoirs et des routes alentours.
Ma main se resserre doucement sur un petit bout de papier jaunâtre tandis que de l'étage, je peux discerner quelques voix s'élevant au rez-de-chaussée. Cette foutue musique mortuaire résonnant dans mes oreilles depuis trois bonnes heures semble - à mon plus grand bonheur - avoir été coupée, et de ma place, j'entends s'intensifier les voix d'inconnus accompagnées de quelques sanglots à peine crédibles. Mais peu à peu, les claquements de porte intempestifs témoignant du départ de ces insupportables richos ramènent à la maison un semblant de calme s'avérant finalement presque pesant. Ainsi, je demeure, durant de longues secondes, les yeux clos tout en frictionnant entre mes doigts la petite feuille de papier jaunâtre, tentant tant bien que mal de dénouer ma gorge. Je ne chialerai pas. Il en est hors de question.
Le coup de grâce est apporté par la senteur fruitée revenue imprégner mes foutus vêtements. S'il ne s'agissait pas d'une tenue d'enterrement, je la porterai chaque jour, ne m'en séparant plus une seule seconde pour pouvoir humer de nouveau les doux effluves me grimpant au nez. Ma main tressaille, comme si elle ressentait de nouveau celle de ma princesse des glaces se glissant dans la mienne au beau milieu de l'enterrement. Une fraicheur agréable caresse mon corps bouillonnant d'un mélange de rage et de tristesse.
Je ne peux pas croire qu'elle soit venue. Je ne devrais pas, mais je ressens brièvement une joie puissante gommant la noirceur de cette interminable journée. Evidemment, ce sentiment de plénitude ne dure pas, il s'éteint aussi vite qu'il est arrivé lorsque je la revois s'éloigner après la cérémonie. Elle n'a pas daigné me lancer un seul regard. En fait, je sais parfaitement ce que j'aurais vu si elle avait décidé de m'accorder la moindre attention ; du dégoût, de la déception, de la tristesse, de la colère. Tout un tas de sentiments que je maudis dès lors que je les vois poindre sur son beau visage. Mais je me fous pas mal de ce que j'aurais pu voir en elle, ce que je voulais, c'était observer de nouveau ses grands yeux verts bleutés, ses joues roses, ses lèvres charnues, son parfait petit corps.
Mon esprit battant la campagne se trouve soudainement rappelé à mon corps lorsque, derrière la porte de ma piaule, trois coups forts mais brefs se font entendre. Et sans attendre une quelconque réponse de ma part, j'entrevois la porte s'ouvrir dans un grincement strident. Et dans l'entrebâillement, j'observe soudain Félix, raide comme un piquet, les yeux rougis et boursouflés par les larmes. Je vois bien qu'il fait de son mieux pour garder la tête haute, pour ne pas s'effondrer à la seconde ou l'adolescent se décide enfin à passer le seuil de mon antre. Et le constater ne fait que resserrer le nœud dans ma gorge.

Horns 2 - Breaking Point |en pause|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant