Chapitre 13

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Eli

« She a hot mess, but I confess
Damn, she got me good
'Cause I love them bad girls doin' bad things »
MKTO - Bad Girls

Un large sourire me fend les lèvres alors que je relève la tête de mon mobile après m'être laissée tomber dans un des larges fauteuils de l'avion privé des MHK. J'observe longuement l'intérieur crème en parfait accord avec la blancheur impeccable des sièges tout autour de moi. Une douce odeur de trop propre parcourt mes narines alors qu'une grande masse brune pénètre enfin dans le jet. Les grognements incessants de la masse trainant derrière lui une lourde valise me décrochent un gloussement. Monsieur Bougon est encore de bonne humeur à ce que je vois ! Avec amusement, je lance un autre regard à l'écran face à moi, relisant distraitement le texto de Félix :

C'est une soirée importante, assures-toi qu'il ne fasse pas de connerie ! Et fait attention à toi.

Et voilà, encore une fois, je me retrouve à devoir jouer la nounou pour l'énergumène pestant toujours face à moi. De colère, il balance sa valise sur un siège à ma droite puis vient s'affaler face à moi.

- Ta bonne humeur m'emplie de joie, Alexander, j'ironise.

Il reste comme interdit durant quelques secondes, les sourcils froncés et la main enfouie dans sa chevelure corbeau. Il balaye d'un soupire quelques mèches atterrissant devant ses yeux cernés, puis s'enfonce un peu plus dans son siège.

- Cette foutue valise pèse une tonne, et personne n'a été foutu de me la monter dans l'avion. Je ne paye pas ces abrutis à rien foutre, grince-t-il entre ses dents d'un blanc immaculé.

- Ces « abrutis » comme tu le dis si bien, sont pilotes, pas stewards. Et arrête un peu de grogner, je ne veux pas que tes mauvaises ondes perturbent le vol.

Il ricane, laissant retomber sa tête contre le dossier de son siège. De ses mains, il vient frénétiquement enrouler quelques mèches de sa chevelure autour de ses longs doigts fluets. A la dérobée, j'observe son teint livide ainsi que les valises pesant sous ses yeux. Il a l'air d'un déterré. Sans le quitter des yeux, mon esprit vagabonde au beau milieu des souvenirs de la matinée ; allongée dans le lit d'Alexander, enroulée dans son épaisse couverture, j'entends un coup porté sur je ne sais quoi, puis des sanglots, des beuglements, puis plus rien. Durant de longues secondes, la maison se plonge dans un mutisme angoissant. Et lorsqu'une porte claque une bonne heure plus tard, l'agréable écho d'une douce symphonie s'extirpant de la salle de musique me vient aux oreilles. J'ignorais qu'Alexander savait jouer, et à l'entente des quelques fausses notes ainsi qu'à l'hésitation audible au début du morceau, je devine que lui aussi l'ignorait.
Lorsque mes yeux s'ouvrent de nouveau sur l'être robuste face à moi, ses mains manquent d'arracher le cuir recouvrant le siège. L'intégralité de son corps paraît plus crispé que jamais. Il ressemble à un touriste en balade au Mexique venant tout juste de tester un Jalapeño, et cette idée me fait intérieurement hurler de rire.

- Je déteste les décollages, se défend-il en me voyant virer au rouge tant il m'est difficile de camoufler mon fou rire.

J'acquiesce d'un simple signe de tête à sa réplique tout en l'observant attraper une bouteille de bourbon posée sur la petite table à sa droite. Il se sert un verre, les mains tremblantes et le regard étrangement vide, et à la seconde où il porte le verre rempli du liquide ambré à ses lèvres, son regard se pose successivement sur moi puis sur le verre. Ses paupières se closent quelques secondes alors qu'il laisse négligemment retomber la boisson contre la petite table. Je ne peux pas croire qu'il en soit encore là, persuadé que les erreurs de Charles sont vouées à être les siennes. Cette constatation me compresse la poitrine, je déteste le voir dans cet état, je déteste voir cette faiblesse dans son regard. Je pensais que maintenant que Charles est parti, tout serait plus simple pour lui, qu'il pourrait enfin parvenir à totalement se reconstruire ; il semblerait que je me sois trompé. Au contraire, aujourd'hui plus que jamais, il semble camoufler en lui une incommensurable souffrance. Souffrance à peine camouflée par cette insupportable attitude bougonne lui collant à la peau depuis ce matin.
Il s'est passé quelque-chose avec Félix, je l'ai deviné à tous ce vacarme ce matin, et en dépit de toute ma volonté, je ne parviens pas à m'aventurer sur ce terrain glissant. Comme tentant de ne pas amorcer une bombe prête à exploser sous mes yeux. La bombe à retardement sous mes yeux est tremblante d'une colère nouvelle. Et pourtant, toute la douceur que je capture dans son regard à chaque coup d'œil qu'il se risque à me lancer attenue un tantinet cette fichue compression dans ma poitrine.

Horns 2 - Breaking Point |en pause|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant