Chapitre 6

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Eli

« When you make love, do you look in your mirror?
Who do you think of?
Does he look like me? »
Love Bites - Def Leppard

La tête contre le carreau, côté passager, j'observe la lueur des néons traverser puis disparaître avant de soudainement réapparaître dans l'habitacle. La couleur jaunâtre des loupiotes au-dessus de nos têtes se reflète dans les yeux océans de Samuel Spivey, assis côté conducteur, les mains fermement agrippées au volant. Parfois, ébloui par la succession de poudroiement transperçant sa rétine, ses cils papillonnent. Sous sa chemise satinée, je zieute longuement sa poitrine se surélever puis s'abaisser de nouveau au rythme de la lumière pénétrant ou s'évanouissant dans sa Tesla. Parfois, bercé par la symphonie envoutante de Bad Liar, du groupe Imagine Dragons, je peux contempler ses longs doigts maigrichons pianotant sur le volant.
Mon esprit bat la campagne, je revois toute la bestialité émergeant d'Alexander lorsqu'elle rouait de coup Chico, un ami de Kitterman.
Il est parti, et mon cœur en demeure meurtri.
C'est stupide après toutes les saletés qu'il m'a balancé en pleine figure quelques heures plus tôt, mais sentir mon estomac se contracter à la seconde où j'ai eu le malheur de croiser son regard m'a rappelé à quel point je tenais encore à lui.
A quel point j'étais idiote.
En le voyant se pointer au Q, j'ai presque été heureuse. Je me languissais silencieusement qu'il me tire loin d'ici et me traîne jusqu'à sa voiture, qu'il agisse comme un sombre connard pour me montrer à quel point je lui manquais.
Il a agi comme un sombre connard, certes, mais tout ce que j'ai entrevu, c'est une mélancolie piètrement camouflée sous sa promesse de me détruire.
Comme si ce n'était pas déjà le cas.

- Je ne l'imaginais pas comme ça, le fils MHK.

Je ris, décrochant enfin mon regard de Samuel pour me concentrer sur la route, ou du moins le prétendre. Car s'il voyait mes yeux, il entreverrait la pire des faiblesses ; ce rebutant sentiment qu'est l'amour.
Bon sang, je déteste Alexander.
Tu n'es qu'une piètre menteuse, Eli.

- Prochaine à gauche, je murmure, un large sourire factice scotché aux lèvres.

La petite scène de jalousie généreusement offerte par ce cher Alexander me revient en tête, et cette fois, je souris franchement.
Idiote.
Idiote.
Idiote.
Dans la noirceur baignant certaines ruelles adjacentes à la route que nous empruntons pour regagner mon appartement, la simple vue de certaines masses épaisses y titubant dangereusement me glace le sang. Je perds mon sourire, comme si, à tout instant, je m'apprêtais à le croiser au détour d'une ruelle.
En dépit de l'alcool, je revois nettement la déception dans ses grands yeux corbeaux en me voyant au bras de Samuel. Ce soir, j'ai vu en Alexander un côté que je n'avais plus entrevue depuis un moment.
Je pouvais voir sa rage le consumer, je le voyais me détester, et pourtant, me voir avec un autre le rendait fou, tel l'abruti égocentrique et prétentieux qu'il a toujours été. Pourtant, je crois que j'ai aimé ça.

- Eli ?

La voix de Samuel s'élevant dans l'habitacle manque de me faire sursauter.

- Oui ?

- Cet Alexander semble tenir à toi.

Là, je ris à gorge déployée, ignorant le nœud se formant peu à peu dans ma gorge.
Alexander ? Tenir à moi ? Autant demander à Ted Bundy s'il avait de la pitié pour ses victimes ! Cette idée me fait tout autant rire qu'elle me noue l'estomac. Il était mon bourreau, j'en avais bien conscience, et pourtant, j'ai tendu la gorge, attendant juste de sentir la lame froide me couper la tête.

Horns 2 - Breaking Point |en pause|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant