Des bourdonnements sourds s'élèvent au-dessus de ma tête. C'est comme si le vent soufflait d'une force inouïe dans l'une de mes oreilles, pour ressortir de la seconde, en ayant tout d'abord retourné l'ensemble de mon crâne sur son passage. Pourtant, cela fait bien longtemps que le bruit du ventilateur géant de la tour Sud ne me dérange plus... Je crois. J'étais sûre de m'y être habituée.
— Comment vas-tu ? me demande un grand brun sur ma gauche.
Je reconnais Theel, une fois l'esprit légèrement moins embrumé. Il a donc remarqué que je ne dormais plus.
— Je vais bien, merci, soupiré-je.
Malgré la lassitude qui accompagne ma voix, Theel décide de m'approcher — avec méfiance — et pose une main glacée sur mon front. Je le repousse immédiatement en lâchant qu'il n'a pas idée d'être aussi froid.
— En réalité, c'est toi qui es brûlante, lance une voix de femme dans mon dos.
Lys.
C'est à ce moment-là que le ventilateur se décide à s'arrêter. Lys s'assoit près de moi et pose son regard d'un bleu intense sur mon visage. Vu son air morose, je dois vraiment être dans un sale état.
— Alors ? appelle un jeune homme dans un couloir sur ma droite. Elle est réveillée ?
Je reconnais tout de suite la voix étonnamment grave de Caem. Il flotte dans ses intonations comme un intérêt, fugace, pour mon état de santé, qui ne s'améliore toujours pas.
— Pose-moi la question directement ! m'offusqué-je. Viens donc voir par toi-même.
— Il est trop occupé, coupe Theel en m'aidant à boire un peu d'eau.
— Quoi ? Bien sûr que non. Je ne manquerai pas une occasion de la voir livide ! s'exclame Caem qui n'apprécie pas que l'on parle pour lui.
Depuis qu'ils m'ont trouvée, nue, couverte de sang et pleine d'ecchymoses sur une plage, pas très loin d'ici, c'est devenu une habitude : le jeune homme et moi nous provoquons sans cesse. Du moins, lorsque je suis suffisamment en état pour cela. Il doit me penser dangereuse, car il garde toujours un œil sur moi. C'est sûrement le cas. Après tout, je ne sais pas moi-même si j'ai une once de danger en moi... Je n'ai plus de passé, et d'après les dires de mes soigneurs, nous n'aurons pas plus d'avenir. Si ce n'est de rester camper sous le ventilateur de la tour Sud.
Caem s'approche de moi, s'agenouille, me prend les mains et vient poser son front contre le mien sans plus de précautions. Le contact n'est pas désagréable en soi, si on oublie qu'il me glace le sang.
— Alors comme cela, mademoiselle, tu oses me défier ?
— Mademoiselle ? répété-je. Tu ne sais même pas si je n'ai pas déjà été mariée...
Caem se redresse.
— A ton âge ? Ces choses n'arrivent plus, voyons !
— Quel âge crois-tu que j'ai, au juste ? demandé-je gênée.
En toute honnêteté, je n'en ai strictement aucune idée, comme tout le reste. Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas d'où je viens. Je n'ai jamais vu mon reflet entièrement, et serais bien incapable de donner un âge à ce corps si douloureux que je peine à mouvoir.
— Je ne sais pas. Dix-huit ans ? Dix-neuf, peut-être.
Je tourne la tête vers Lys, puis Theel, qui approuvent du chef. Je me plonge alors dans mes souvenirs troubles. Allongée, je me sens soudain poisseuse et couverte d'un sable épais, désagréable, qui pue l'iode et le sel. Il me gratte et me blesse. Non, blessée, je le suis déjà. J'entends Caem qui cri à ses amis de le rejoindre alors qu'il soulève une algue collée sur mes yeux. La lumière qui m'éblouie, puis son visage qui s'impose à moi. Plus que son visage, ce sont ses yeux d'un gris léger, nuageux, que je remarque d'abord. Son regard intense et inquiet. Il m'observe, de la surprise plein les iris. Il avait dû croire que j'étais morte. Pourtant, au-delà de cette supposition, il y a autre chose de troublant. Comme s'il avait voulu me dire merci d'être là, devant lui, dans l'état pitoyable dans lequel il m'avait trouvée...

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Inconnue 57
Fantasy57 a tout oublié lorsqu'elle est trouvée sur une plage par de parfaits étrangers à la vie mouvementée. Elle n'a pas de prénom, ne sait pas d'où elle vient et ne sait absolument pas où elle va. Tout ce qu'il lui reste de son passé ? Un étrange tatoua...