Chapitre 4

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Un peu vacillante, je me félicite tout de même de parvenir à me porter. Un fardeau de moins pour mon sauveur. Je regarde Caem finir de s'habiller et vérifier à plusieurs reprises que son bracelet d'argent ne risque pas de quitter son bras. Je ne sais pas ce qu'il représente pour lui, mais il a l'air d'être d'une grande importance, ce que je peux tout à fait comprendre. Je regarde ma main et observe l'anneau qu'il m'a offert. Qu'ils m'ont offert... Une nausée me submerge et je parviens difficilement à la réfréner.

Il m'aide à passer la grande robe de voyage, à capuche, que portait Lys le jour de mon éveil, et ajuste le tombé pour camoufler au mieux mes blessures. Il arrange ensuite mes cheveux pour qu'ils couvrent les deux coupures qui trônent sur mon visage. J'observe ses traits prouver toute sa concentration. La capuche sur la tête, je cache au mieux mon tatouage, comme il me le demande.

Inos nous attend devant la porte de la tour Sud, bien sagement assis, le regard fixe, rivé sur la porte de fer. Pour être sûr que je tienne debout, Caem passe un bras dans mon dos. Avec pour seuls bagages nos deux sacs à dos, nous abandonnons la tour Sud, encouragés par le lancement brutal du ventilateur. Après un dernier regard sur ce qui fut son foyer depuis des mois, Caem ouvre la porte et nous nous glissons au dehors par un couloir étroit, puis déboulons parmi la population.

Je n'avais pas de souvenir de la ville qui s'étend sous mes yeux. La sortie de la tour Sud est camouflée par un lierre épais qui grimpe et grimpe encore jusqu'au sommet des murs. C'est la première fois que le découvre l'hideuse ville fortifiée de Bargonn. Mon arrivée s'était déroulée de nuit, et selon le peu de souvenir qu'il m'en reste, Theel m'avait jetée par-dessus son épaule comme un vulgaire sac de patates.

Ici tout est pâle, tout est sombre. Morose et sans âme. Autour de moi, tout semble tomber en ruine, aspiré par des songes obscures et troublés, qui rongent la pierre comme ils rongent les Hommes. La terre qui macule le sol, spongieuse et pourrissante, s'attaque à mes chaussures comme de l'acide. Des cendres retombent de la grande forge, à quelques mètres de là, en une pluie grisâtre. Irrespirable et lourde. Je tousse. Les gens que j'aperçois derrière le rideau de ma chevelure sont d'une maigreur qui m'est étrangement familière. Je baisse le regard sur le poignet qui dépasse de ma manche et constate qu'il est identique à ceux des passants...

Au milieu de tout cela, seule la main de Caem me ramène à la lumière. La faible lumière de l'espoir qui cherche pourtant une façon de s'extirper de moi. Mes yeux se perdent dans les ruelles moribondes. Tout ici est sordide et menaçant. Ses doigts me maintiennent à la surface d'un océan d'angoisse, m'enivrent d'une lucidité presque préoccupante... J'ai froid, j'ai peur. Mais je le sens, je le sais, Caem a plus peur encore que moi. Ses doigts tremblent autant qu'ils enserrent ma main. Il se raccroche à moi, puise sa force dans ma présence et je puise la mienne dans sa chaleur.

La Cité me paraît immense, infranchissable, impossible à traverser sans perdre courage. Pourtant, quelque chose me souffle que nous nous apprêtons à nous rendre bien plus loin que de l'autre côté. Bien plus loin que les murailles épaisses et laides qui se dressent en face de nous, face à la mer. J'entends la houle s'abattre contre son bâti, bercées par le brouhaha incessant de la vie qui malgré tout anime les rues de la ville.

La tour Sud se trouve proche de l'entrée principale, qui longe le port pour rejoindre la plage. Je vois Inos se faufiler entre les marcheurs qui l'ignorent, escalader des étales et des toitures noires pour se hisser sur une partie légèrement effondrée des fortifications. Même sur trois pattes, il fait preuve d'une agilité sans égale. Il m'impressionne et je m'égare dans sa contemplation. Caem relâche légèrement ma main pour la saisir un peu plus fort l'instant qui suit. Je tourne la tête vers lui et comprends qu'il ne faut pas que je rêvasse. J'avance et le suis, silencieuse. Le silence est tenace, il enserre ma gorge et me prie de ne pas le briser. Une simple pression de la main de Caem me permet de contourner, furtivement, un escadron de dix hommes en uniformes noir et sang, armés de fusils imposants. Je comprends qu'il s'agit de la Garde dont ils parlaient. Mon ami ne tient pas à ce qu'ils retiennent nos visages, et à vrai dire, moi non-plus. Surtout depuis qu'ils ont trouvé Lys et Theel...

Inconnue 57Où les histoires vivent. Découvrez maintenant