Je ne comprends pas. Asuia est paniquée et je l'entends hésiter sur l'interprétation qu'elle veut bien faire de cette information. Bientôt, elle répète frénétiquement le mot « enceinte ». Je prends seulement conscience de ce qu'il signifie et de ce qu'il implique.
— C'est impossible ! je m'écris en étouffant ma voix de mes deux mains pour que Caem ne la perçoive pas. D-depuis c-combien de temps ?
J'ose cette question qui me brûlait les lèvres. La réalité n'est plus qu'un tourbillon de noirceur autour de moi. La noirceur de ma mémoire qui m'a abandonnée. Cette mémoire qui me fait défaut et qui ne semble pas pouvoir me revenir. Le devrait-elle seulement ? Je me demande si je suis apte à recevoir ce genre d'informations. Comment savoir de qui est cet enfant, alors que je ne me connais pas moi-même ? Qui homme est-il, alors ? Un inconnu. Comme je le suis devenue.
— Tu n'as pas de ventre, ma fille. Tu es pourtant maigre comme toutes les femmes du pays. Ce doit être ta première grossesse, puisque ton ventre est plat mais qu'on perçoit le battement du cœur de ce petit. Je dirais qu'il est là depuis au moins deux mois, pas beaucoup plus. On le verrait physiquement, si c'était plus, étant donné ton état.
J'essaye de mettre ensemble toutes les syllabes qu'elle prononce, mais je n'y parviens pas. Les informations rentrent dans ma tête et en ressortent immédiatement, en charpie. Je ne suis pas prête à cela. Je suis sûre de ne pas être capable d'y faire face. Je ne veux pas. Mon esprit dérive et se concentre. J'essaye à tout prix de me souvenir de quelque chose.. Mais mes pensées sont aussi troubles que mon regard, qui s'emplit d'une myriade de larmes plus épaisses les unes que les autres.
— Caem ne doit rien savoir, supplié-je Marsalie en serrant ses mains charnues dans les miennes.
— C'est ton choix, ma fille.
Je remercie sa compréhension, tente de me ressaisir. Alors que je me rhabille, je l'entends me souffler :
— Mon enfant, si tu ne veux pas de cet enfant, je peux t'aider.
Ces mots sont pour moi aussi salvateurs qu'étouffants. Je comprends à ses intonations, au poids de chacun de ces mots, ce qu'elle entend par ceux-ci, même si je ne suis pas sûre de savoir comment elle voudrait procéder. Je panique, suffoque. Asuia me parle mais je ne l'entends pas. Je crois qu'elle essaye de me rassurer. Sa voix est douce, calme, apaisante. Mais elle ne suffit pas. Je ne sais quoi répondre à la vieille femme.
— Tu sauras où me trouver, ajoute-t-elle, compatissante.
Une réalité me frappe. Je n'ai aucune idée de ce que représente cet enfant pour moi. Peut-être devrais-je être heureuse d'apprendre cette nouvelle. Peut-être que j'aimais plus que tout au monde l'homme qui... Je ne parviens même pas à aller jusqu'au bout de mes suppositions. Je pense au fait que, peut-être, cet enfant n'est pas le fruit de l'amour, au contraire. Je regarde les coupures qui me couvrent le corps. Si l'on m'avait aimée, on m'aurait protégée comme le fait Caem, je crois. Alors, pourquoi serais-je dans un tel état ? Laissée pour morte sur une plage, nue, seule au milieu du sable et caressée par les vagues blessantes ?
Je mets de côté tout cela. Je ne dois pas y penser plus, pas maintenant. Je dois rester forte, car de l'autre côté de cette porte que je fixe désormais, Caem est là et s'inquiète pour moi. Il est en deuil et malgré tout, il se soucie de savoir ce qu'il ne va pas. Je ne dois rien lui montrer.
— Je ne peux rien faire pour tes nausées, m'avoue ensuite la vieille femme. Rien qui ne soit pas dangereux pour...
Elle ne termine pas sa phrase. Elle doit voir dans mon regard que j'ai bien compris ce qu'elle voulait me dire.

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Inconnue 57
Fantasy57 a tout oublié lorsqu'elle est trouvée sur une plage par de parfaits étrangers à la vie mouvementée. Elle n'a pas de prénom, ne sait pas d'où elle vient et ne sait absolument pas où elle va. Tout ce qu'il lui reste de son passé ? Un étrange tatoua...