J'ai une nouvelle absence. Le bruit du ventilateur me ramène quelque part que je ne connais pas. Plus. Un endroit froid, sale, étroit. Que je sens plus que je ne le distingue, car ma mémoire me fait défaut, encore une fois. Je me sens si seule, comme enfermée. Une odeur de rouille envahit mes narines. Je me sens captive de mes propres pensées, incapable d'en sortir et de m'en relever.
Caem le remarque, je l'entends très lointainement me parler et m'appeler.
— 57 ? 57...
Sa voix devient un peu plus claire même si je la sens faillir. Il m'écarte de son torse lorsque j'ouvre enfin les yeux. Je suis éblouie par la lumière, comme je l'avais été sur la plage lorsqu'il avait retiré cette algue puante de mon visage. Alors, encore, je suis éblouie par son regard. Je me perds dans ses iris et essaye tant bien que mal de reprendre pieds. Il soulève une mèche de mes cheveux qui file droit entre mes deux yeux. Ce geste m'est familier, mais je suis incapable de dire pourquoi. Trop perturbée par toutes les émotions qui me transcendent, je m'éloigne et tente de me relever.
Caem a la décence de ne pas insister. Il fait comme s'il ne m'avait pas surprise dans un moment de faiblesse. Ou peut-être qu'il essaye d'oublier le sien. Les moments que nous venons de passer tous les deux me donnent l'étrange sentiment que nous avons les mêmes blessures, au fond. Je réalise qu'il a peut-être, plus encore que moi, besoin de ce genre de présence. Fidèle à lui-même, il lâche :
— Allez, c'est l'heure du petit déjeuner !
Sa bonne humeur retrouvée, comme si de rien n'était, il saute sur ses pieds et me tire vers la table. Une fois de plus, il s'assoit contre moi et me sert de dossier, s'assurant que je ne m'étalerais pas lamentablement sur le sol. Sous la table se trouve la réservent de nourriture dont ils, et maintenant nous, disposons. Il pose devant nous un fond de bouteille en verre qui contient du lait. J'ai découvert ce qu'était le lait il y a quelques jours. Je suis certaine de n'en avoir jamais vu ou bu dans ma vie passée. Ce goût, très légèrement sucré, est indescriptible pour moi. C'est doux et lisse comme de l'eau, en mieux. En voyant ma surprise la première fois qu'ils m'en ont fait boire, mes trois nouveaux amis ont promis qu'ils m'emmèneraient, un jour, auprès du fermier qui le leur troque contre quelques poissons.
Il tire ensuite une miche de pain dont la croute a durcit et un petit pot de confiture.
— Bon appétit ! sourit-il en découpant deux tranches.
Je hoche la tête pour le remercier. Je crois que je ne suis pas en état de parler. Il fait mine de ne pas s'inquiéter de mon mutisme, mais je sens que cela l'interroge. En tout cas, il est suffisamment gentil pour ne pas poser de questions. Je lui en suis reconnaissante. Je pense alors à Theel et Lys, sans doute assis sur la plage avec l'adorable chien du groupe. Ils comptent sans doute le résultat de leur pêche. J'espère pour Inos qu'ils lui en auront donné. Je l'ai peu vu, mais cet animal est adorable. Lorsque je sortais de mes longues heures de sommeil, je le retrouvais souvent allongé contre moi. J'avais l'impression qu'il tentait par je ne sais quel moyen de réguler ma température et de veiller sur moi. J'ai hâte de les retrouver, tous les trois.
A côté de moi, Caem sursaute et se lève d'un bond. Je ne comprends pas, mais il me rattrape in extrémis alors que je m'effondre sur le banc sans y prendre garde. Je suis encore trop faible pour réagir aussi vite. Il me demande à la hâte si tout va bien et n'attend presque pas ma réponse pour me lâcher et s'activer dans la pièce. Je n'ose pas lui demander ce qu'il lui arrive. Je le regarde faire son manège, pleine d'appréhension. Il se passe quelque chose. C'est certain. Quelque chose de suffisamment grave pour qu'il réunisse toutes les affaires du groupe en un tour de main.
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Inconnue 57
Fantastik57 a tout oublié lorsqu'elle est trouvée sur une plage par de parfaits étrangers à la vie mouvementée. Elle n'a pas de prénom, ne sait pas d'où elle vient et ne sait absolument pas où elle va. Tout ce qu'il lui reste de son passé ? Un étrange tatoua...