Inconnue 57

Chapitre 10

Je crois qu'Asuia a essayé de me dire autre chose, mais je ne l'entends plus. Caem vient de prendre mon visage dans sa paume. Ses yeux ont l'air de vouloir passer l'éternité dans les miens. Son pouce caresse mes joues tendrement et fait disparaître l'eau salé qui y trace des sillons. Je cligne des yeux. Beaucoup trop. L'expression sur son visage m'éblouie complètement. Il a le soupçon de malice que j'aime tant, et la petite flamme d'inquiétude que j'y vois souvent. Je me surprends à pencher légèrement la tête pour me blottir dans la douceur de ses mains. Si les contacts répétés de Caem m'ont toujours réconfortée, cette fois-ci, je ressens tout autre chose. Mon cœur fond littéralement face à lui, quand soudain, il pose ses lèvres sur les miennes.

Elles sont agréablement chaudes, et je retiens mon souffle un instant pour mieux en profiter. Ce n'est sans doute pas mon premier baiser. Sûrement pas, puisqu'un enfant loge dans mon ventre. Mais c'est le seul dont ma mémoire ait conscience en cet instant, et je prie pour ne jamais l'oublier. Il m'embrasse avec toute la délicatesse que je lui connais. Les yeux fermés, je me surprends à rêver que ces secondes durent l'éternité. Mais ses lèvres se décollent et cet acte me ramène à la réalité.

— Sèche tes larmes, souffle-t-il simplement.

Sa voix, grave et envoûtante, déclenche en moi quelques frissons. Je hoche la tête, un peu étourdie, et reste captive de l'éclat dans ses yeux. Sa main reste sur mon visage et me câline paisiblement. Son comportement me paraît tellement authentique que de nouvelles larmes coulent de mes yeux, sans que je ne puisse les maîtriser vraiment. Il les essuie aussitôt et m'embrasse à nouveau. Cette fois-ci, je lui rends son baiser et accroche mes doigts à ceux de sa main libre. Mais alors que nos langues s'entremêlent, je le sens s'éloigner.

— Et si tu m'expliquais plutôt la vraie raison de cette consultation chez Marsalie, maintenant ? tonne-t-il, accusateur.

Bon sang, il m'a eue !

— En beauté, confirme Asuia. Peut-être que tu devrais vraiment lui dire...

— Non ! m'exclamé-je avant de plaquer une main sur ma bouche.

Je fronce les sourcils et relâche toute ma frustration :

— Asuia, tu exagères !

— Encore ? pouffe Caem avec un rictus farceur. Tu devrais l'écouter, tu sais ? C'est la voix de la raison, après tout...

Il étouffe gentiment un rire et me regarde en espérant avoir une explication qu'il estimera tenir debout. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Vexée, je m'éloigne jusqu'au bord de l'eau et le nargue de toute ma nudité. Je retrouve mes vêtements, que je plonge dans l'eau et entreprends de frotter sans ne plus faire attention à lui. J'utilise une pierre plate et un peu de savon emporté par Caem.

Il reste de l'autre côté et m'observe de loin, l'air apparemment perplexe. Je constate qu'il n'a aucune patience. Peut-être n'a-t-il pas l'habitude qu'on lui refuse une information ? Il agit comme s'il avait le droit de tout savoir. Je comprends qu'il n'a pas insisté pour m'interroger sur mon passé en voyant que j'avais perdu la mémoire, mais qu'il n'a aucune tolérance pour les petits secrets que je pourrais avoir dorénavant. Son comportement me déçoit un peu, je dois me l'avouer. Je n'ai aucune envie de me sentir obligée de lui dire. Je ne veux pas qu'il sache que j'attends un enfant. L'enfant d'un autre. L'enfant d'un inconnu, dont nous ne saurons peut-être jamais rien.

— Que crois-tu qu'il pensera lorsqu'il s'en rendra compte tout seul ? recommence Asuia. Il t'aimera suffisamment pour que son monde s'écroule, 57.

Ses mots sont comme un coup de poignard pour moi. Je sais qu'elle a raison, mais avec la disparition de Theel et de Lys, cette découverte serait juste une horrible nouvelle supplémentaire. Alors, s'il le faut, je m'éloignerai de lui... J'essaierai de rester à l'écart. Qu'il ne veuille plus jamais poser ses lèvres sur les miennes. Pas même pour me taquiner.