Chapitre 12

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32 - Île de Gadeld.


Le soleil se lève sur la grande baie de Gadeld, sous mes yeux désabusés. Je ne pensais pas que cela me ferait si peu d'effets. Si je n'étais pas réveillé depuis des heures, je profiterais probablement de la luminosité grandissante avec plus d'entrain. Je m'en nourrirais pour éveiller tous mes sens, enfin. Mais je suis debout depuis déjà trois heures et le vent m'arrache à mes pensées. Cette aube magnifique dont je n'avais plus profité pendant près de quinze années me laisse perplexe. Je crois même qu'elle m'indiffère. Je suis profondément déçu. Déçu de ce sentiment qui prend toute la place dans mon cœur ; déçu par ce manque d'engouement pour ces couleurs flamboyantes que j'espérais tant revoir et qui ne me font rien.

— 32 !

Qu'ils me fichent la paix cinq minutes de plus. Cinq fichues minutes de plus, vraiment.

— Eh, oh, 32 ! Ne restez pas planté là, préparez-vous. Nous vous attendons dans dix minutes.

Tant pis.

Je me détourne de l'horizon et découvre l'homme dont on m'a parlé hier. Il est ridiculement petit et fluet, pour un militaire. Enfin, pour l'idée que je m'en fais, en tout cas. Je l'imaginais au moins plus grand que moi. Peut-être un peu plus large, aussi. Enfin, je l'espérais plus musclé, je pense. Mais il ressemble à une brindille. S'ils sont tous comme lui, je commence à comprendre pourquoi je les intéresse autant malgré tout ce qu'ils pourraient bien avoir à me reprocher. Je ne peux m'empêcher de hausser les épaules et tente de dissimuler ma stupeur.

— Chef d'escouade Garner ? osé-je vérifier.

Je m'évertue à effectuer le geste que je crois être celui de la garde d'Argadeld, sans grande conviction. On m'a vaguement parlé des eus et coutumes de l'armée, sans vraiment insister sur la manière dont je devrais me présenter. Je vois au rictus intrigué du chef d'escouade que je suis encore loin de pouvoir prétendre à l'intégration immédiate. A cet instant, je me sens un peu pataud. Un peu comme l'avaient été les petits chiots de ma vieille Zilia, quand j'étais tout petit.

Ah, Zilia, si seulement je pouvais te re...

— Allez, soldat ! me secoua Garner de sa voix rocailleuse pour m'arracher à ces rares souvenirs heureux. Tâchez d'être prêt et d'avoir réuni vos affaires au plus vite.

— Oui, chef d'escouade Garner.

Mes affaires ? Quelles affaires ?

Il doit pourtant bien savoir que je ne possède rien. Peu importe. Mes négociations ont abouti et je quitte enfin Gadeld. Je devrais être heureux, je devrais être convaincu de la nécessité de m'évader enfin de ce lieu infâme et pourri. Je devrais... Mais une nostalgie poignante ; une douce mélancolie, me recouvrent toutes les deux de leur voile d'amertume. Je pivote mécaniquement sur mes deux jambes et traîne le pas jusqu'à l'entrée des bâtiments.

Je parcours ces couloirs froids : ils m'étreignent comme une habitude. Ils sont longs, étroits, sombres et humides, et pourtant, je crois qu'ils pourront me manquer. Ils sont mes seuls repères, désormais, aussi ironique soit cette idée. Au milieu de tous les décombres de ma vie, quelque chose dans ces murs me marquera toujours. Ils font partie de moi ; je fais partie d'eux. Je les ai trop vus, bien sûr. Mais l'inconnu me fait défaut s'il n'est pas moi-même. A l'heure actuelle, il n'y a qu'une unique chose que je veux découvrir et reconnaître. Je doute de la trouver là où l'on m'emmène, même si c'est mon choix. Ma proposition, en tout cas.

Des centaines de portes se dressent de chaque côté de la sinistre galerie que je traverse. Des sanglots résonnent contre ces parois austères. Des rires, aussi, parfois. Mais des rires tristes ; nerveux, tout au plus. Je m'entends soupirer si fort que mon souffle recouvre leurs sons étouffés, les camoufle une dernière fois. Mes pas s'effacent dans le tapis qui recouvre le sol. Cet horrible tapis aux couleurs immondes, que je déteste tant. Ces seules couleurs que je pouvais voir lorsqu'ils ouvraient la porte. La « moquette », comme ils aiment l'appeler. Elle les rend discrets, les éloigne de nos esprits délabrés pour mieux nous surprendre lorsqu'enfin se tournent les poignées.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 30, 2020 ⏰

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