Une femme - TOME 1

15. Colère

       Shakky marchait à bonne allure, ses talons frappaient vivement les pavés qui recouvraient la rue. Rayleigh avait le don de l'agacer quand il se montrait aussi obstiné. Et même si elle n'était pas complètement d'accord avec sa décision, elle ne pouvait nier qu'il avait en partie raison. La question était complexe et les deux points de vue se valaient, et quoi qu'il en soit, qu'il dise la vérité ou se taise, l'un comme l'autre allait amener son lot de problèmes. Elle soupira.

Rita ne semblait pas être au courant de ce qui se tramait derrière ses origines. La candeur avec laquelle elle avait parlé de ses parents, le soir où elle avait mangé avec eux, lui indiquait que la jeune femme n'était pas au courant du sombre secret de sa famille. Et Shakky se demandait si la laisser dans l'ignorance était lui rendre véritablement service...

La brune glissa une main dans sa poche et en sortie son paquet de cigarettes et son briquet. La pierre de silex crépita quand elle actionna la mollette et l'embout de nicotine s'enflamma. Elle tira une longue bouffée en continuant sa route. Un air frais s'engouffra dans la ruelle, soulevant quelques mèches de ses cheveux courts. En levant le nez au ciel, elle remarqua que le temps était en train de tourner. De gros nuages noirs menaçaient le ciel.

_ Mieux vaut ne pas trainer... maugréa-t-elle en accélérant le pas.

La place du marché était bondée, les gens se pressaient aux étales, dévalisant les marchands avant que la pluie ne se mette à tomber. Une certaine agitation animait les villageois. Nombre d'entre eux s'étaient agglutinés pour parler. Shakky ne fit pas attention à leurs mines soucieuses et atérées, et slaloma entre les passants pour se frayer un chemin. Une phrase un peu plus forte que les autres parvint cependant à ses oreilles :

_ Cette zone de non-droit est devenue une vraie prison. Si on en sort, c'est la mort assurée.

Le vieux qui avait grogné sa plainte avait accompagné sa phrase d'un grand geste théâtrale. La brune eut un rictus amer en tirant sur sa cigarette. Comme si ce constat était nouveau, pensa-t-elle. Depuis bien longtemps il était de notoriété publique que les zones de non-droit n'étaient pas un paradis sur terre. Elles étaient seulement là pour offrir un petit bout de terre sans la présence de la marine, mais cela avait un prix. Ces lieux étaient devenus des repères de bandits en tout genre et progressivement l'étau s'était resserré, la Marine avait encerclé ces zones, filtrant activement tout ce qui en sortait ou rentrait. Pour sortir il fallait savoir passer entre les mailles du filet et ce n'était pas donné à tout le monde.

Elle s'arrêta au stand de la boulangère et s'attarda sur le choix des baguettes. L'odeur des viennoiseries embaumait la rue.

_ Je vous mets trois croissants avec ça ? Demanda la boulangère.

_ Volontier.

C'était une habitude que Rita avait prise depuis qu'elle venait travailler au bar. Chaque fois qu'il y avait le marché, elle partait faire les courses pour le compte du bar et revenait avec des croissants encore chauds. Elle en déposait un à Shakky, puis partait rejoindre Rayleigh avec un thermos de café et le reste des viennoiseries. C'était un attention simple mais qui avait beaucoup plu au couple. Il était temps aujourd'hui que Shakky lui rende la pareille.

_ Il parait que ça a fait un sacré remu-ménage, s'exclama une cliente derrière elle en s'adressant à un homme dans la file d'attente.

_ La pauvre petite, apparement la marine n'y est pas allée de main morte, répondit l'autre.

Shakky tiqua, voilà pourquoi le vieux avait pesté : une autre arrestation de la Marine avait eut lieu. Sabaody était une plaque tournante pour tous les pirates, et ceux qui se faisaient attraper ici pouvaient dire adieu à leur liberté. Ils se faisaient couper l'herbe sous le pied avant même d'avoir connu les joies du Nouveau Monde, c'était triste.