Chapitre 1

241 9 3
                                    

– Fais attention, Feodor ! Ces pièces coutent plus cher que ce que tu ne vaux !

Feodor regarda à ses pieds la caisse de bois qui venait de lui glisser des mains. A l'intérieur, tout un bric-à-brac de pièces métalliques, de rouages, de ressorts et autres engrenages étaient entassés pêle-mêle, sans aucune organisation apparente. Du moins à ses yeux. Grommelant et jurant à voix basse, le jeune homme se pencha en avant pour soulever la caisse qui venait de tomber.

– Ah ! Ne jure pas comme un charretier. Tu n'es pas chez les sauvages ici !

– Oui, Alexei, souffla Feodor.

Cela faisait quelques semaines que Feodor avait réussi à décrocher ce travail dans le quartier des engrenages. Alexei n'était pas le patron idéal, et à l'image de ses concitoyens de Kniga, il n'avait pas les habitants du quartier des indigènes en haute estime. Cependant, il n'était pas injuste, et contrairement à beaucoup d'autres artisans Knigayottes, il n'appréciait pas particulièrement passer ses nerfs sur ses employés, même s'ils étaient d'un rang inférieur au sien.

Feodor s'était fait à l'idée qu'il n'était qu'un moins que rien. Ici, à Kniga, il habitait un taudis dans le quartier le plus pauvre de toute la cité. Il ne survivait que grâce à sa bonne volonté : il se débrouillait toujours pour trouver du travail, souvent ingrat, afin de gagner sa croute. Jamais il n'avait volé, même si la tentation avait parfois été grande. Là, c'était la première fois qu'un artisan le gardait autant de temps. Et Feodor s'en contentait bien.

Le jeune homme déposa la caisse d'ustensiles sur un établi, à côté d'Alexei. Ce dernier était appliqué à assembler deux pièces dans un minuscule mécanisme.

– Tu as besoin d'autre chose, Alexei ?

L'intéressé ne répondit pas, trop concentré sur sa tâche. Feodor le toisa. Alexei n'avait rien d'impressionnant à proprement parler : il était fin, ses cheveux grisonnants témoignaient de son âge avancé, et son visage osseux donnait plutôt l'impression qu'il ne mangeait pas à sa fin. Et pourtant, il se vantait d'être l'un des meilleurs artisans de la ville. Seulement, il avait toujours refusé d'entrer dans la guilde des artisans, se contentant d'une place plus modeste, mais à laquelle il « avait l'impression de ne rien devoir à personne », selon ses propres mots.

Feodor ne comprenait pas qu'on puisse refuser d'élever son rang par simple conviction personnelle. A vrai dire, s'élever socialement était ce à quoi il avait toujours aspiré. Et il avait déjà fait du chemin. Tous les « sauvages » du quartier des indigènes ne pouvaient se vanter de travailler au quartier des engrenages. Loin de là. Lui y était parvenu, à force de détermination et de labeur. Il voulait devenir « quelqu'un ». Cependant, il ne pouvait réprimer la petite voix dans sa tête qui lui rappelait que malgré le chemin parcouru, il n'était toujours personne.

Alexei se redressa et attrapa un torchon sale sur l'établi, puis il se tourna vers Feodor.

– C'est bon, gamin, tu peux rentrer chez toi, déclara-t-il en essuyant le cambouis de ses mains. Je n'ai pas envie que tu me casse quelque chose sous prétexte que tu es fatigué. Demain repose-toi, et reviens-moi en forme après-demain. D'accord ?

– Comme vous voulez, Alexei, répondit Feodor sur un ton déférent.

Le jeune homme s'étira les doigts et se dirigea vers la sortie de l'atelier.

– Merci, Alexei ! Faites attention à vous, Alexei ! s'exclama-t-il en sortant.

La rue était bondée, malgré l'heure avancée de la journée. Feodor se faufilait parmi les passants en faisant attention à n'en bousculer aucun. Il savait que si un sauvage bousculait un citoyen de Kniga, les conséquences pouvaient être grandes et désagréables.

Les parias (fanfic Game of Rôles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant