3 - Baisse le volume de ce silence

65 4 0
                                    

19h33

Je viens d'arriver à la maison. Ça faisait longtemps que je n'avais pas, comme c'est le cas ce soir, entendu le vide en entrant chez moi.
Au départ je le remarquais.
Je sentais le contraste entre le bruit de la ville et le silence ambiant dans mon appartement.
J'ai fini par m'y habituer et ne plus prêter attention ni à l'un ni à l'autre. Je ne décelais plus chaque sirène, chaque klaxon, chaque jeune qui se tord de rire en bas de la rue au détour d'un débat footballistique, chaque enfant qui clame sa victoire à la fin de la course, les claquements de portes des voitures.
Aujourd'hui en rentrant, je me suis rappelée cet orchestre harmonieux qu'est l'extérieur, tellement harmonieux qu'on n'en distingue plus les instruments.
Le silence fut saisissant.

Je me prépare un petit plat de lasagnes au saumon et vais me doucher pendant que ça cuit dans le four.

Je suis propre, le ventre prêt à être satisfait devant un beau film afro. C'est vraiment doux les vacances.
Mais je sursaute légèrement quand on sonne à la porte. Je n'attends personne, c'est probablement ma voisine.

Assata : Bonsoir ma beauté, ça va ?

Moi : Ah bonsoir tata, ça va et vous ?

Assata : Très bien ma fille. Tu as l'air en pleine forme aujourd'hui.

Moi : Haha ah bon ? Entrez, et donnez moi ça je vais vous aider.

Elle portait un énorme carton. Je ne sais pas ce qui l'amène mais je la fais entrer pour lui offrir à boire. Elle vit dans l'appartement en face du mien avec son mari et ses enfants. C'est une jolie famille et on partage chaleureusement des banalités quand on se croise dans l'ascenseur avec Assata. On partage aussi des petits plats. Vraiment une gentille tata.
Je crois que du fait que je vive seule, Assata trouve ça évident de prendre soin de moi.

Assata : Ah mais ça c'est à toi. Un livreur est passé tout à l'heure, il n'a pas arrêté de sonner, sonner, boucanner comme un voyou ! Je croyais qu'il y avait un truc grave donc j'ai ouvert. Il m'a confié ton colis.

J'avais complètement zappé, le fameux appel de tout à l'heure c'était sûrement lui. Et comme j'avais 4 nouveaux messages dans ma boîte vocale mais que j'étais mal à l'aise face à Axel qui m'attendait, je n'en ai écouté qu'un et pas celui qui m'intéressait.

Moi : Oh merci tata ! Attendez je vais vous chercher à boire.

Je lui offre un verre de thé glacé et des pâtisseries faites deux jours plus tôt. On papote de tout et de rien pendant un petit quart d'heure avant qu'elle ne rentre chez elle.

Je reprends donc ma petite soirée lasagnes/film afro, en faisant défiler mon feed Instagram. Toujours rien de nouveau sous les tropiques.

Je me dis que quand même, j'aimerais bien voir à quoi ressemble le profil d'Axel. N'y voyez aucune ambiguïté, le courant est juste bien passé, voilà tout...

Bref, je continue mon film lorsque mon téléphone vibre.

[+336xxxxxxxx] : 22h12 - Bien rentrée ?

Aucun suspense, je sais pertinemment que c'est Axel. Tout à l'heure, j'ai donné mon numéro à Lilia pour qu'elle créé un groupe WhatsApp de la classe de théâtre. Je vais quand même vérifier que c'est bien à lui que correspond ce numéro et pas de surprise.
Son message me fait plaisir. J'y réponds très vite, je ne suis pas du genre à faire semblant d'être occupée quand je n'ai rien à faire.

[À +336xxxxxxxx] : Oui merci et toi ?

[+336xxxxxxxx] : Ouais, je me suis permis de prendre ton numéro dans le groupe, j'espère que ça ne te dérange pas ?

[À +336xxxxxxxx] : Eh bien si justement, je vais d'ailleurs te demander de l'effacer.

[+336xxxxxxxx] : Sérieusement ? Ben désolé, je voulais pas paraître intrusif...

Je laisse passer un peu de temps avant de répondre pour qu'il me prenne au sérieux. Ouais dans une vie aussi monotone que la mienne, cette conversation c'est un peu de sel.

[+336xxxxxxxx] : Je te dérange pas plus longtemps, à la semaine prochaine en cours.

[À +336xxxxxxxx] : Alors t'as peut-être une culture musicale en fin de compte mais le second degré ce n'est pas encore ça visiblement...

[+336xxxxxxxx] : Wesh tu m'as vexé ! Ahaha je me disais "mais non elle rigole" et puis après je me suis dit "non elle a l'air sérieuse en fait, et puis je ne la connais pas tant que ça, elle n'a pas dû kiffer". Je me vengerai !

[À +336xxxxxxxx] : Mea culpa (ou pas). J'aurais bien aimé voir ta tête crédule dernière ton écran ! Hahaha.

[+336xxxxxxxx] : Fais la maligne. C'est moi ou t'es beaucoup plus à l'aise par sms que tout à l'heure ? T'as l'air super réservée en vrai.

[À +336xxxxxxxx] : Affirmatif inspecteur. C'est beaucoup plus facile pour moi de communiquer derrière un écran, effectivement...

[+336xxxxxxxx] : D'où l'atelier théâtre ?

[À +336xxxxxxxx] : D'où l'atelier théâtre.

[+336xxxxxxxx] : Je vois... Ça te dit qu'on se rejoigne pour y aller la semaine prochaine ?

Il voit quoi ? Bon, sinon l'idée de faire le trajet avec lui ne me dérange bizarrement pas tant que ça même si mes écouteurs me suffisent amplement.

[À +336xxxxxxxx] : Ouais ok. Passe une bonne nuit.

[+336xxxxxxxx] : Bonne nuit Halima.

Je vais essayer d'aller passer une bonne nuit. Du moins aller passer la nuit.

Halima, raconte !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant