16 - De la pastèque au citron

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Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. J'ai cogité dans son canapé en me posant mille et une questions. Comment a-t-elle pu se retrouver dans cet état ?
Je me sens tellement stupide d'avoir laissé ces 3 semaines passer... Bref, c'est fait et je ne peux pas revenir en arrière, je peux juste essayer d'arranger les choses et faire en sorte qu'elle aille mieux.
Il est presque 9h et elle dort encore, en tout cas elle n'est pas encore sortie de sa chambre. J'en profite pour aller me doucher, faire ma toilette et passer à la boulangerie avant qu'elle ne se réveille.
Comme la veille, je lui laisse un mot et prends les clés avant de sortir.
Si elle était d'humeur, elle me taquinerait en me disant que je suis un peu trop à l'aise.

Je comprends qu'elle est réveillée lorsque j'entends la douche en rentrant. Je prépare le petit-déjeuner et dresse la table en attendant qu'elle finisse et, oubliant quelques instants les raisons de ma présence ici, je me surprends à imaginer ce que serait une vie à deux. Ça me fait sourire.

- Bonjour...
lance-t-elle à l'entrée du salon.

- Ça va ? T'as bien dormi ? Je suis passé à la boulangerie et j'en ai aussi profité pour passer à l'épicerie.
t'as du thé et du jus d'orange pressé aussi.
Viens t'asseoir, faut que tu manges.

- Axel t'étais pas obligé de faire tout ça.

- Je sais mais j'en avais envie. Allez viens.

- J'ai pas tellement faim. Je n'arrive pas à avaler grand chose.
Rétorque-t-elle.

- J'ai remarqué, et c'est pour ça que je veux que tu manges. Juste un peu, s'il te plaît Halima. S'il te plaît.

Elle finit par venir s'asseoir. Je ne me ferai pas à son regard éteint.

- Tu vas pas lâcher l'affaire, n'est-ce pas ?
La question est rhétorique.

- Effectivement.
Je lui réponds en remplissant sa tasse de thé et son verre de jus.

- Le canapé n'était pas trop inconfortable ? Pourquoi t'as pas voulu prendre le lit ? J'ai l'habitude moi de m'endormir dans le canapé, ça ne m'aurait pas dérangée.

- J'ai très bien dormi, arrête de te tracasser pour ça.

Je mens à moitié, je n'ai pas dormi mais le canapé était confortable. Ce n'est de toutes façons pas le sujet, je dormirais même par terre s'il le fallait.
On mange sans trop parler, je vois bien qu'elle se force pour ne pas que je la saoule mais tant qu'elle mange, ça me va.

On débarrasse et nettoie tout puis on se pose dans le canapé.

- Tu ne vas pas travailler ?
Me demande-t-elle

- On est jeudi.

- Ah... ok. Je suis un peu perdue dans le calendrier.

- Mais je n'irai pas travailler ce week-end ni le week-end prochain. J'ai déjà prévenu le taff. Et je ne sais pas ce que t'as dit à ton responsable mais tu l'appelleras pour lui dire que t'as besoin de plus de temps.

- T'as pas à faire tout ça. Tu me dois rien et...

- Tais-toi Halima.
Je la coupe.
Tu comptes pour moi, je tiens à toi et c'est pas un job étudiant qui remettra ça en question. J'en ai rien à foutre du taff là. Je veux juste que t'ailles bien.
Je lui réponds un peu fermement.

Tu veux qu'on aille faire un tour ?
Je lui demande plus paisiblement.

- Je veux pas trop sortir... je... je suis désolée Axel.
Et elle fond en larmes sans que je ne m'y attende.

Je m'approche d'elle, la prends dans mes bras et lui caresse les cheveux.

- Hey, shhh. Calme-toi. Si tu veux pas sortir, on sort pas. On fera rien qui te mettra mal, je te le promets. T'as pas à t'excuser pour ça.

- Non, je suis désolée de t'avoir ignoré, de ne pas t'avoir répondu, tu ne méritais pas tout ça, j'ai juste pas su gérer, c'était nouveau et trop pour moi, je te mérite pas, je...

- Stop. Respire et détends-toi.
Je lui chuchote en tentant de la calmer car je la sens complètement angoissée.

J'allume la télé et mets un dessin-animé. Je me dis qu'avec ça, il y a peu de risques que ça déclenche une angoisse chez elle. On enchaîne les épisodes et je la sens se détendre au fur et à mesure.

- Je peux t'expliquer ?

- Seulement si t'es à l'aise avec ça. Y'a pas le feu. On a tout le temps de parler.
Et je veux que tu saches que je peux tout entendre Halima... tout.
J'insiste sur cette dernière phrase, en la regardant dans les yeux et c'est la première fois depuis hier que je sens une lueur passer dans son regard. Elle ne dit rien mais me regarde et j'y lis... de la confiance ?

- Je n'ai jamais eu de copain.
Commence-t-elle.

Je n'ai jamais eu de copain mais au-delà de ça, j'ai toujours eu beaucoup de mal dans mes relations aux autres.
Je n'ai pas tant d'amis que ça, voire pas du tout, parce que je ne sais pas entretenir le lien et que je ne me trouve pas à la hauteur. C'est source d'angoisses pour moi... Tout le monde finit par partir. Mais j'ai réussi à me construire un certain équilibre, puis t'es arrivé. Et ça a tout bousculé. Très vite et très fort.
Je n'ai jamais eu à gérer ça ; quelqu'un qui se préoccupe de moi tous les jours, plusieurs fois par jour voire constamment. Pourquoi tu resterais alors que tout le monde finit par partir et me laisser un jour ou l'autre ?
Qu'est-ce que tu me trouves ? J'ai pris peur, je sentais que je m'attachais trop. Je voulais pas prendre le risque de le faire parce que j'appréhendais le jour tu partirais... je l'appréhendais plus que pour les autres.
Je n'ai jamais ressenti ce que je ressens pour toi et je ne sais pas le gérer.
C'est monté et ça n'a fait que monter, me faire cogiter, jusqu'à me tétaniser.
Je suis désolée, je ne veux ni avoir mal ni t'en faire.

Je comprends à ce moment là qu'il va falloir que je lui montre que je suis solide et qu'elle l'est bien plus qu'elle ne le pense. Que je vais tout faire pour qu'il y ait un Nous tout aussi fort et stable.
C'est à ce moment que je réalise mon attachement. Je veux qu'elle comprenne que je tiens sincèrement à elle, que je veux qu'on goûte à tous les sorbets du monde ensemble. De la pastèque au citron, des plus sucrés aux plus acides.
Et je ne parle pas réellement de sorbets ni de fruits...
Je parle de ce qui nous attend et qui est déjà bien plus grand que nous.

Halima, raconte !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant