VENDREDI 30 / 7 HEURES 05

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L'aube perçait à peine que Louis avait l'impression d'avoir vécu mille vies. Il avait mangé, s'était douché, avait lu quelques articles pour ses cours, et en voyant le soleil se lever sur les montagnes, lui prit l'envie d'aller courir. Louis était loin d'être un athlète, il était probablement incapable de tenir trois cents mètres, mais le paysage l'inspirait. Puis, il était en si mauvaise forme physique qu'il ne transgresserait même pas la règle des un kilomètre.

Louis chaussa une vieille paire de baskets dénichées dans un placard, enfonça ses écouteurs et sortit dans l'air humide de fin octobre. Il était en short, les poils de ses jambes se hérissèrent sous le coup froid. Il souffla dans ses mains dans l'espoir vain de se réchauffer. Il n'en resta pas moins congelé sur place. Courir était le seul moyen de supporter la montagne. Louis s'élança.

Il avait aussi besoin de réfléchir.

Les confidences de la nuit lui avait mis un sacré coup. Pour la première fois, une histoire avec Ninon lui semblait possible. Ce n'était plus de l'ordre du regret éloigné ou du « et si ». Ce n'était plus un sentiment d'être passé à côté de sa chance. Ce n'était plus du ressort de la houle, cette fameuse théorie de sa pote Lola qui décrivait les relations manquées. Après cette nuit et le moment intime partagé avec sa colocataire, Louis en était certain, ce n'était plus une simple houle. Il était au milieu d'une tempête, pris dans une vague qui menaçait d'éclater à tout moment. Alors, que ferait-il ? Une fois piégé dans les remous, incapable d'émerger la tête de l'eau, une fois tombé sans possibilité de remonter, comment s'en sortirait-il ? Louis se sentait au bord du précipice, mais il avait encore la possibilité de faire demi-tour.

Première option : il refoulait ses sentiments. Il restait avec Zia, faisait des efforts d'investissement dans leur relation, ignorait Ninon ou la gardait à distance du mieux qu'il le pouvait. Avantages : Zia était largement moins prise de tête, leur histoire d'amour reposait sur des bases solides et un confort indéniable. Inconvénients : il ne serait peut-être jamais à cent pour cents dans la relation, les regrets et les « et si » persisteraient. Ninon reviendrait à un moment ou un autre et son dilemme recommencerait telle une spirale infernale. Pris dans une tornade, peu importe l'endroit où l'on est happé, on termine à chaque fois en son centre.

Deuxième option : il faisait le choix du cœur. Il reconnaissait que tous ses efforts resteraient futiles tant qu'il ne se confrontait pas à la réalité. Il mettait un terme à son histoire avec Zia, au moins pour lui épargner le mal d'être avec quelqu'un de faux. Ce serait douloureux pour les deux, mais c'était le choix le plus raisonnable. Avantage : il soulageait sa conscience. Inconvénient : il n'avait aucune certitude que Ninon avait envie de s'engager avec lui. Du jour ou lendemain, elle pouvait disparaître de nouveau et laisser un Louis célibataire et isolé.

Louis était déjà à bout de souffle quand la route devant lui grimpa abruptement. Découragé par la perspective de l'effort, il prit une pause. Les mains sur les genoux, il crachait ses poumons. Dans ses oreilles, Requiem for a dream hurlait ses notes pathétiques. Louis n'aurait pu créer un instant plus dramatique. Son esprit n'était pas vide, il n'avait pas d'autres choix que de continuer. Louis prit une longue inspiration, et s'élança.

Son dilemme était simple, en réalité. On lui demandait de faire un choix entre la sécurité et le risque, entre le confort et l'inconnu, entre le prévisible et le chaotique. Il n'était pas le premier à qui l'on avait posé ce problème. Des héros de pièces de théâtre, des films, des comédies musicales étaient dédiées à faire ce choix. Pourtant, Louis avait le sentiment d'être le premier au monde à en faire l'expérience. Rien n'avançait.

Peut-être devait-il partir de ses certitudes. Numéro une, ce dont il était absolument sûr : il était amoureux de Zia. Ou l'était-il ? Il n'avait pas pensé à elle ces derniers temps, sauf quand elle était avec lui, ou qu'il se sentait coupable de son comportement avec Ninon. Parfois, il se forçait à aller la voir – bien sûr, il ne lui disait jamais – et considérait les nuits passées chez elle comme tant de corvées qu'il devait réaliser dans sa journée. Oh... merde. OK, peut-être n'était-il pas absolument sûr d'être amoureux de Zia. Pas grave, pas grave. Numéro deux : une histoire avec Ninon était irréalisable. Elle avait une peur bleue de l'engagement, elle ne se confiait pas et elle devait travailler sur son estime d'elle-même avant d'être avec quelqu'un. Louis n'était pas un chevalier servant qui effacerait ses soucis d'un baiser. Donc certitude numéro deux – devenue numéro une, du coup... mince, il était perdu ! - Ninon et lui, impossible. À moins que... Après tout, elle s'était ouverte à lui, elle avait admis ses erreurs, elle était prête à changer. Et si elle n'attendait qu'une étincelle pour s'embraser ? Et si Louis était le seul à pouvoir allumer cette étincelle ?

Quand Louis revint sur Terre, il avait gravi la pente. La descente raide s'annonça tout aussi éprouvante. Il n'hésita pas, cette fois-ci.

Ninon n'était pas la meilleure personne pour lui, voilà la seule certitude sur laquelle il comptait. Mais Ninon était tant d'autres choses, et Ninon le poussait à se remettre en question. N'était-ce pas le seul indicateur qui en vaille la peine ?

Les genoux de Louis en prirent un coup, mais il parvint au bout de la descente. Épuisé, il se laissa tombé dans l'herbe humide du bas-côté, la tête entre les jambes, soufflant comme un bœuf. La musique devenait assourdissante, il retira ses écouteurs.

Louis avait fait son choix.

Dans un râle, il s'allongea sur le dos et contempla le ciel, ignorant son tee-shirt qui s'imbibait de rosée et le froid qui l'engourdissait. Au loin le moteur d'une voiture pétaradait, il devait avoir l'air mort, ce fut donc sans surprise que le conducteur s'arrêta à sa hauteur. Mais quand une voix perça le silence, Louis sursauta :

─ Tu nous fait une crise existentielle ?

Le jeune homme se redressa aussitôt. C'était sa voiture, et derrière le volant, c'était Ninon.

─ Qu'est-ce que tu fais là ? lança Louis.

─ Je vais chercher des croissants.

─ Avec ma voiture ? Depuis quand tu as le permis ?

─ Je suis une fille pleine de secrets. Bon, tu veux m'accompagner ou je te laisse vivre ton film pour ados seul dans ton coin ?

Louis hésita, mais en repensant au relief du chemin du retour, arrêta vite son choix. Celui-là, au moins, avait été facile à faire. Il se releva, le tee-shirt trempé, et grimpa sur le siège passager. Ninon avait des lunettes de soleil et un pull à capuche, dans une inversion comique des rôles de la veille.

Elle redémarra. Le soleil matinal irradiait la vallée. Le jour s'était enfin levé, mettant un terme à la nuit mouvementée. Louis avait l'impression d'avoir vécu mille et une vies.

La vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant