MERCREDI 28 / 18 HEURES 45

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Seule dans un petit appartement, Ninon retrouvait ses vieux démons. Elle avait beau travailler de 9 heures à 17 heures, l'environnement ne s'y prêtait pas. Elle pouvait rester en pyjama, cramer un litre et demi de café et ne faisait même plus sa promenade quotidienne des transports en commun. Elle était affalée sur le canapé, dans une position que son dos allait regretter d'ici dix ans, et elle traitait les dossiers et les mails qu'on lui envoyait avec un effort considérable. Chaque nouvelle tâche était un supplice, alors qu'elle l'aurait effectuée sans y penser, au bureau.

Ninon était de ceux qui ne pouvaient pas rester enfermés. Non pas par peur de la solitude et de l'isolement, comme Louis, mais parce qu'ils avaient besoin que la société fonctionne pour fonctionner eux-mêmes. C'était déjà le cas au mois de mars, quand elle devait travailler sur son mémoire. Il avait fallu attendre la fin du confinement et l'espoir de sortir la tête de l'eau pour qu'elle parvienne à l'écrire. Le président de la République devait s'exprimer dans une heure, Ninon était terrifiée, d'autant plus qu'aucune solution ne lui aurait convenu.

S'ils ne faisaient rien, elle se catastropherait de l'état sanitaire du pays. S'ils en remettaient une couche, elle s'enfoncerait dans de nouvelles abysses.

À cela, s'ajoutait le stress de ne pas être chez elle. Les couverts n'étaient pas rangés au même endroit, la salle de bain n'était pas fonctionnelle, ses vêtements n'avaient pour étagère qu'une panière à linge postée dans un recoin. Elle n'avait toujours pas de nouvelles de son appartement. Ses affaires pouvaient déjà être ensevelies sous une tonne de gravats, pour ce qu'elle en savait. Elle regardait son téléphone toutes les cinq minutes, dans l'espoir d'avoir reçu un message. En vain. Elle n'osait pas non plus appeler, ayant une peur panique de se confronter à toute forme d'administration. Bref, c'était la merde dans sa vie.

Point positif, Louis n'était pas un problème. Il n'était tout simplement pas là. La veille après leur discussion embarrassante, il avait pris des affaires et était reparti, sans même goûter à sa cuisine. Ninon trouvait son obsession des pâtes au jambon de moins en moins mignonne. Le gars était pâle comme en vampire, il semblait en carence du moindre nutriment. Il l'avait prévenue qu'il ne dormait pas à l'appartement. Désormais, c'était plutôt clair : il l'évitait.

Le matin-même, il était passé en coup de vent. Ninon était dans la salle de bain, elle ne l'avait pas croisé. En sortant, ses affaires de cours, celles qui traînaient dans l'entrée et prenaient la poussière, avaient disparu.

Elle s'attendait à souffrir l'allocution seule. Elle avait tout prévu : le thé, le plaid enroulé autour d'elle comme un cocon et les chaussons avec de la moumoute. Elle traînait sur les réseaux sociaux pour se distraire, les gens n'étaient jamais plus drôles que lorsqu'ils se moquaient du gouvernement.

La porte s'ouvrit, elle sursauta. C'était à ça que se résumait les derniers jours : Ninon était surprise de voir rentrer Louis, alors qu'elle était chez lui.

─ Il dit quoi le monsieur ? lança-t-il avant d'apparaître.

─ C'est pas commencé.

Quand il revenait, Louis laissait toutes ses affaires dans le minuscule hall d'entrée, enlevait ses chaussures en même temps qu'il rejoignait la pièce à vivre, se servait un verre d'eau et ouvrait son Frigo pour en dévisager l'intérieur. C'était toujours vide, il ne grignotait jamais rien, mais il en regardait son contenu. Le rituel se répétait chaque fois, Ninon l'avait vite remarqué. Elle voyait les habitudes des autres avec facilité.

Louis s'assit à côté de Ninon, dans le canapé. Une sorte de décharge passa entre eux, il s'éloigna. Sur l'écran, des journalistes prévoyaient les annonces à venir autour d'une table ronde. Louis déclara :

La vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant