SAMEDI 31 / 14 HEURES

1.7K 279 21
                                    


Le week-end avait un goût différent lorsqu'on travaillait à la maison. Il n'y avait plus la satisfaction de se lever en sachant qu'on ne foutrait rien. Ninon ouvrait son ordinateur, regardait ses mails tout pareil et était même tentée d'y répondre, avant de se souvenir qu'il lui fallait attendre lundi matin. En fait, le week-end était un jour de semaine où elle avait le sentiment de ne pas être productive. Pour la perfectionniste qu'elle était, c'était pesant.

Au moins, elle était au grand air, même si elle n'en profitait pas. Elle n'était pas une fille du dehors. Elle l'avait été un temps, quand, enfant, elle passait des journées avec son frère à construire des cabanes avec les draps qui séchaient. Quand son père était parti, sa mère lui avait offert un ordinateur pour racheter son bonheur. Ninon était devenue cette créature qui restait dans son lit, des cernes sous les yeux et une couverture rabattue sur sa tête. Aller à la campagne ou non ne changeait rien à sa routine. 

Son frère aurait adoré être ici, lui avait gardé son âme d'aventurier. Des rares photos qu'elle voyait passer, il cavalait sur les sentiers de randonnée, quand il n'était pas sur un bateau au milieu des calanques marseillaises à profiter du soleil. Peut-être devait-elle l'appeler... Après tout, « dans ces temps incertains » (comme elle le mettait dans tous ses mails), il fallait ravaler ses rancœurs. On ne savait pas ce qui pouvait advenir de ses proches. Elle avait cru qu'il se serait manifesté en mars, quand René était tombé malade. Il n'avait même pas appelé pour prendre des nouvelles. En fait, ce n'était pas à elle de faire le premier pas, c'était à lui, ce petit...

─ Ça va ?

Louis la ramena à la réalité. Ninon émergea de ses pensées comme d'un lourd sommeil.

─ Hein ? Ouais. Pourquoi ?

─ Tu essuies la même assiette depuis deux minutes.

Elle baissa les yeux sur la vaisselle et lentement, posa l'assiette propre. Lorsque Ninon tendit le bras pour en prendre une autre, un doute l'assaillit. Elle n'était plus sûre d'avoir tout essuyé. Il restait peut-être une goutte ou deux. Son geste en suspens, elle lutta contre l'envie de reprendre l'assiette tout juste posée. Ninon capitula. À quoi bon, elle était dans la lune, elle n'avait pas bien dû essuyer. Elle reprit l'assiette.

Louis la vit, mais ne dit rien. Ninon lui en était reconnaissante. Il ne lui faisait jamais remarquer quand elle partait dans une spirale infernale. En revanche, il tentait de la distraire.

─ C'est Halloween, ce soir, lui rappela-t-il.

─ Et ?

─ Je sais pas, on pourrait regarder un film d'horreur, un truc comme ça.

Ninon détestait l'idée. Regarder un film d'horreur avec Louis ? Et puis quoi encore ? Dîner aux chandelles et s'installer devant la cheminée avec un verre de vin, pendant qu'on y est. Elle marmonna :

─ J'aime pas les films d'horreurs.

Louis soupira.

─ T'aimes pas grand-chose, toi.

Ninon avait reposé l'assiette, apaisée. Le calme ne dura qu'un instant, elle avait un verre dans la main quand une nouvelle pensée surgit. Était-elle certaine d'avoir bien essuyée ? Oui. Oui ? Oui. De toutes façons, ce n'était jamais que de l'eau, les résidus sécheraient à l'air libre. Mais si elle avait mal essuyée, et qu'elle prenait l'assiette pour mettre la table, et que l'assiette humide lui glissait des mains, et qu'elle s'éclatait sur le sol, et qu'un bris de faïence lui tombait sur son pied et la coupait, et que la blessure s'infectait, et qu'elle devait aller à l'hôpital, là où les maladies pullulaient, et qu'à cause de sa plaie déjà ouverte, elle chopait une autre affection, encore plus grave, et que...

La vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant