LUNDI 26 / 17 HEURES 45

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Le dimanche soir, Ninon avait eu ses règles, et au fond d'elle, elle avait été soulagée. En voyant la tache de sang, elle s'était dit : « Je savais bien que j'étais pas une pleureuse. » avant de réaliser qu'elle avait toujours été une pleureuse en question, et qu'en plus, elle avait de très bonnes raisons de pleurer.

L'emménagement chez Louis s'était bien passé pour l'instant. Aussi parce qu'il n'était pas là. Rongé par la culpabilité d'avoir oublié sa copine, il avait dormi chez elle – ça résolvait également le problème du lit unique. Seule dans l'appartement, Ninon avait pleuré un peu plus, écouté les informations, cuisiné une marmite entière de chili végétarien, des cookies, un banana bread, et avait même envisagé de faire du pain, mais les temps de pousse l'auraient tenue éveillée toute la nuit. Pendant l'été, elle avait découvert que la cuisine l'apaisait. Depuis, elle se retrouvait avec un restaurant chez elle chaque fois que le stress la bouffait.

Le lundi matin, elle était partie tôt, sans croiser Louis. Elle avait mangé au travail, sans croiser Louis, et était rentrée en passant devant le fameux bar, sans croiser Louis. Elle s'attendait à le retrouver à l'appartement, mais la porte était verrouillée. Bien sûr, elle avait les clés, il lui en avait donné le double avant de s'éclipser, mais entrer dans un foyer qui n'était pas le sien alimentait son sentiment d'inquiétante étrangeté.

La pièce à vivre était plongée dans l'obscurité et même une fois allumée, le séjour ne laissait transparaître aucun signe de vie. Tout était à l'endroit exact où elle l'avait laissé le matin. Louis n'était pas rentrée. Elle hésita à lui envoyer un message pour s'assurer que tout allait bien, et pour lui demander s'il reviendrait. Mais elle s'y résigna. Ils ne se devaient rien. Louis faisait sa vie. Il était peut-être en cours.

Ninon rangea le peu d'affaires qui traînaient, pris une douche, et cuisina. Vers 19 heures, un cliquetis l'alerta. Louis apparut.

― Salut, je passe en coup de vent, je viens juste chercher deux ou trois fringues.

― Salut. Tu dors ici ce soir ?

― Non, j'ai apéro chez un pote, je vais probablement dormir chez lui ou chez Zia.

Ninon acquiesça. Tant mieux, elle aurait le lit pour elle toute seule sans culpabiliser de le voir dormir par terre. Ouais... tant mieux. C'était comme si elle était dans son propre appartement. Louis s'agitait autour d'elle comme une mouche qui chercherait la sortie. Un moment, alors qu'il s'était arrêté en plein milieu de la pièce, comme réfléchissant à ce qu'il faisait là, Ninon lui proposa :

― J'ai fait de la ratatouille si tu veux.

Louis grimaça à cette idée, et déclina poliment :

― Non merci.

Il boucla son sac, sentit son tee-shirt pour savoir s'il avait besoin d'en changer – il décida que non – et dit au revoir à sa colocataire. Enfin, elle n'était pas vraiment sa colocataire, elle était plus une squatteuse de canap.

― À demain, lui lança Ninon.

― À demain, enfin peut-être pas. Ça dépendra. À plus, dans tous les cas.

Sur ces mots, il claqua la porte, et sans faire exprès, par habitude, éteignit la lumière principale. Ninon se retrouva dans le noir, un sentiment de solitude soudain s'empara d'elle. De toute évidence, Louis avait toujours sa vie à côté, il ne l'avait pas mise en pause pour cette colocation provisoire. Il avait des amis à rejoindre, des potes de fac à voir, une copine à chérir. Ninon n'avait personne mis à part Patricia.

Elle avait encore envie de pleurer, mais s'y refusa. Assez de larmes ! Elle ne devrait même plus en avoir en stock. Plutôt, elle se leva, ralluma la lumière et entreprit de faire une charlotte au chocolat pour se changer les idées. Elle avait ramené tout son réfrigérateur avec elle et devait passer les denrées avant qu'elles ne périment.

Pendant qu'elle battait les blancs en neige, ses pensées s'enchaînaient et s'enfilaient les unes aux autres dans un flot ingérable. Perdue dans ses réflexions, elle ne réalisa même pas que les blancs étaient fermes depuis plusieurs minutes. Elle suivit le reste de la recette machinalement, comme un robot, alors qu'un monologue se déroulait dans son esprit. Lorsqu'elle eut fini de dresser la charlotte, Ninon se dit que ce moment de cuisine en valait le coup. Elle avait réussi à mettre toutes ses idées au clair. Voilà les conclusions auxquelles elle était arrivée :

Il fallait qu'elle trouve un nouvel appartement avant qu'un nouveau confinement soit annoncé – ce qui serait imminent, tout le monde en parlait.

Elle devait prendre rendez-vous avec un psy pour se débarrasser des pensées intrusives et de ses angoisses.

Elle était attachée à Louis plus que voulu.

Elle aurait aimé passer chaque seconde avec lui.

La vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant