"Les rivières ne sauraient s'éteindre ...."
Un jour l'étau qui pesait sur votre cœur tel une épée de Damoclès depuis de longs mois se referme totalement, un jour les contrées autrefois votre vous apparaissent sous un œil nouveau, un jour, tout n'est plus que doutes, désespoirs et rancœur, un jour, la mort et la vie se toisent comme deux vieilles ennemis, l'une prête à vous cueillir, l'autre à vous bénir.
Oui ce jour il le connaissait bien et son souvenir hantait encore son esprit alors que le lapin qu'il avait pris pour cible venait tout juste d'arrêter sa folle course dans l'épais manteaux neigeux des forêts shirmaniennes. Une branche craqua sous son poids faisant fuir dans les cieux les oiseaux alentours. Oui, ce souvenir le suivait, il le suivait comme la promesse silencieuse que son choix, le conduirait au tombeau.
Un sifflement, puis un petit craquement sourd le sorti de ses funestes pensées. Guidé par son instinct de chasseur, la flèche s'était enfoncée dans l'œil de la frêle créature, souillant ainsi la neige d'une teinte écarlate. Avec son œil qui n'était pas recouvert d'un bandeau usé, Maurin fixa le lapin dans ses dernières convulsions de douleurs. Son œil, qui brillait d'une humanité inconnue pour la plupart des hommes, serra douloureusement le cœur du garçon qui avait déjà tant de fois, durant sa courte existence, croisé ce regard. Un regard qui vous fait vaciller l'âme tant son pardon silencieux et une insulte à votre propre crime. Pardon, pardon, pardon, oh combien ce mot aurait eu de sens dans la bouche de Maurin. Pourtant par fierté ou par peur, le pardon n'avait jamais franchi le seuil de ses fines lèvres, figées dans un mutisme glaçant depuis des années.
Un meurtre de plus ou de moins, créature insignifiante tel qu'un homme ou lapin, aux yeux de tous il n'était plus que cela ; pureté de colère et de haine, prête à vous exploser au visage si vous aviez le malheur de l'approcher de trop prêt. Cette image de froideur était devenue un puissant bouclier, coupant du monde le peu de sentiments qu'il arrivait encore à ressentir. Il prit la bête par ses oreilles poudrées. Sa fourrure encore chaude, lui rappela une énième fois qu'il n'était rien d'autre que... l'héritier du mal.
Avec rapidité le jeune homme dépeça la bête et croqua avec la force que donne le désespoir et la famine, dans la chair encore cru de l'animal. Son couteau émoussé donna un rendu bâclé à la découpe ce qui renforça encore un peu plus son dégoût. Manger ainsi de la viande, cru et impropre lui inspirait une profonde révulsion, lui habitué à des mets cuisinés. Il calma son haut le cœur avec une poignée de neige contre ses joues. Allumer un feu était bien trop dangereux si proche de la frontière et sa multitude de bandits à la recherchent de pauvres âmes à dépouiller. Alors, à chaque jour de chasse fructueuse, le rituel recommençait. Depuis le début de la guerre bon nombre prenaient la fuite vers la capitale du royaume voisin, des familles entière migraient dans l'espoir futile d'échapper à l'armée shirmanienne qui chaque jours montrait un peu plus sa supériorité. Les hommes des frontières eux avaient vu dans ce conflit une opportunité dans leur bassesse. Les fuyards, s'ils n'avaient pas tout perdu pendant la guerre, prenaient avec eux leurs derniers biens et l'espoir d'une vie meilleur. Il résidait une beauté, un courage presque héroïque dans leur migration. Ils marchaient, priait et avançaient sans relâche pour fuir la mort. Toute avancé et tout espoir s'effondrait alors à leur arrivé à la frontière où les mercenaires de la route de L'Est se glorifiaient de les décharger de biens, de vie et d'espoir. La chute pour eux devait en être que plus brutal. Tués par des congénères et non par l'armée ennemie. La guerre était belle et bien pleine de mystère et d'injustice. Pour sa part la frontière n'était plus qu'à une lieue et demie de lui, ce qui l'obligeait à redoubler de prudence. Il était comme eux tous, à migrer vers l'Est, terrifié, glacé mais porteur d'espoir et de liberté.