Jour 13 - Alaska

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Je raccompagne Gabriel jusqu'à la porte. Il est resté dîner, succombant au pouvoir persuasif de Tantara. Comme Jay n'est pas là, ses parents, qui espèrent encore son retour, ont reporté notre repas de Noël au lendemain, transformant cette veillée en grignotage de douceurs arrosées de thé et de chocolat chaud, de jeux de cartes et d'histoires drôles. Un réveillon parfait. Juste parfait pour me faire oublier que Jay ne m'a jamais répondu.

— Mon frère débarque demain avec ses enfants, ils doivent passer voir Tantara et George. Tu pourras rencontrer mon neveu et ma nièce, ils veulent tous les deux devenir archéologues, comme Jasper et toi.

— Je tâcherai de ne pas les décevoir, assuré-je, amusée.

Gabriel réajuste son manteau en remontant le col, canon ! J'ai l'impression d'avoir remonté le temps et de rendre visite à Jay avant qu'il me connaisse.

— Je ne vois pas vraiment comment tu pourrais décevoir quelqu'un, dit-il avec un demi-sourire de tombeur.

Bon bon, on flirte un peu depuis le début de la soirée. Une sorte de jeu s'est instauré entre nous, sans que Tara ni George ne voient quoi que ce soit – ça me dévasterait de les blesser. Je trouve ça flatteur sur le coup, mais je sais que je vais amèrement le regretter ensuite. D'ailleurs je me dis que la seule personne que je risque de décevoir, c'est bien moi, si je continue sur cette voie.

— Tu veux faire quelques pas dehors ? m'invite-t-il avant d'ouvrir la porte.

Je pourrais simplement refuser et monter me coucher, mais sans rien dire, j'attrape mon manteau et enfile mes chaussures. On sort sous le porche et la lumière extérieure s'enclenche. La neige continue de tomber en quelques tourbillons enchanteurs, la nuit de Noël ne pouvait pas être plus belle !

— Je t'accompagne jusqu'au portillon, décidé-je alors.

— Tu es sûre que tu n'avais pas dit jusqu'au chêne ?

Je me mets à rire en secouant la tête.

— Je n'ai jamais dit ça !

— J'ai dû le rêver, s'amuse-t-il.

Gabriel, Gabriel... je n'ose pas imaginer combien de filles tu tombes par semestre !

— Alors, dit-il en planquant ses mains dans ses poches. Jay et toi, c'est du sérieux ?

Je fronce les sourcils. Étrange comme formulation !

— Ben, oui, dis-je avec une hésitation qui me fait froid dans le dos.

— Alors pourquoi avoir annulé votre mariage ?

Bon sang, c'est une manie dans cette famille !

— On n'a pas « annulé », corrigé-je. On l'a juste repoussé.

— C'est quoi la différence ?

Il ne dit pas ça avec mépris mais bel et bien avec une réelle curiosité. Du coup je me sens complètement déboussolée. Je hausse les épaules, regrettant d'être sortie dans le froid pour parler à nouveau de ça.

— On n'est pas prêts. Je suppose.

En fait je ne suis même plus sûre moi-même d'en connaître la raison.

— Pour te dire la vérité, mes parents et mon frère sont plutôt persuadés que Jasper ne se mariera jamais. Et je suis à peu près certain que cette idée de repousser votre mariage vient de lui.

Je ralentis, surprise.

— Pourquoi ?

Gabriel semble chercher ses mots avant de poursuivre.

— Parce qu'il n'a jamais su se poser, dans la vie comme dans ses relations.

C'est vrai. Il n'a pas tout à fait tort.

Gabriel ouvre le portillon et m'invite à le suivre.

— Jusqu'au chêne ?

Je le suis sans répondre.

— Et toi ? demandé-je alors. Tu en penses quoi ?

Il ne s'est pas inclus dans ceux qui ne croient pas à ce mariage.

— Moi, je pense... qu'on ne sait jamais, dit-il avec un sourire chaleureux.

Il me rassure suffisamment pour lui donner un petit coup d'épaule complice. On marche encore quelques pas avant de s'arrêter sous la silhouette d'un chêne qui a tendance à se confondre dans la nuit. Gabriel me fait face et lève les yeux au ciel.

— Je suis à peu près sûr qu'il y a du gui juste au-dessus de nous !

Soufflée par son insolence, j'éclate de rire.

— Certainement oui ! me moqué-je.

Il se penche tout de même vers moi sans brusquer aucun de ses mouvements, guettant le moindre de mes gestes. Je me pétrifie sans le repousser. J'en ai envie, tout en sachant que c'est la chose la plus terrible que je pourrais faire. Gabriel s'immobilise, me permettant de faire moi-même le chemin restant. Le souffle court, je ferme les yeux et approche mes lèvres des siennes. Leur douceur m'arrache un tremblement. Il dépose un baiser, puis un second, plus lentement, et un troisième, plus intrépide. Ce contact si éphémère et si intense fait pétiller mon cœur... parce que cet idiot imagine Jay.

Gabriel se redresse, j'ouvre les yeux, bouleversée.

— Joyeux Noël, Alaska.

Love Lessons - Le Calendrier de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant