Je suis incapable de dormir. Je vois encore Gabriel me sourire, me tourner le dos et s'enfoncer dans la nuit, me laissant seule dans le désarroi total. J'ai fait demi-tour, je suis montée prendre une douche et j'ai enfilé mon débardeur et pantalon de nuit. Allongée sur le dos, le cœur battant, je comprends que je viens de détruire ma relation. De lui balancer un coup de pied dans le tibia et de la mettre violemment à terre.
Je me redresse, prend une robe de chambre et descend au rez-de-chaussée. La maison est plongée dans le silence. Le sapin brille, le feu crépite, l'horloge bat la mesure, il est presque minuit. Je m'approche des décorations faites par Jasper et mon cœur se serre douloureusement. Je suis un monstre ! Comment j'ai pu lui faire ça ? Avec son cousin ! J'ai embrassé son cousin, je vais anéantir toute sa famille !
Je suis en train de nous saboter parce que j'ai peur. Je suis en train de mettre un terme à notre histoire de la plus terrible des façons ! Un flot de terreur m'engloutit. Je vais faire une crise de panique dans le salon de ses parents, enceinte et infidèle ! C'est vraiment parfait !
Mon estomac se contracte. Ce maudit haricot impromptu me tord les entrailles ! Je tourne en rond et finis pas m'asseoir pour respirer profondément tout en me penchant en avant.
Au bout d'un moment, j'entends du bruit dans la cuisine. Je relève la tête et m'y rends à petits pas. Tara est en train de se faire une infusion. Je reste sur le pas de la porte, à l'observer.
C'est fou comme le plus simple des gestes peut être réconfortant et touchant à la fois. Je la regarde verser de l'eau chaude dans sa théière en fredonnant et tout en elle reflète sa bienveillance à cet instant précis. S'il y a bien une personne avec qui je devrais avoir une conversation honnête, c'est elle. Je m'avance tout en m'éclaircissant la voix.
— Aly, dit-elle en m'apercevant.
— Vous ne dormez pas ?
— Non, pas toutes les nuits, répond-elle finement.
Moi aussi j'ai fait des insomnies, quand Jasper a déserté notre lit. Au départ, je trouvais ça bizarre de dormir seule chez nous. Et puis je m'y suis faite.
— Vous en voulez ? C'est de la camomille du jardin.
— J'en veux bien une tasse oui, merci.
Et donc, à vingt-quatre ans, je bois de la camomille comme une mamie, chez les parents de mon mec absent. La vie rêvée !
Je soupire. J'en ai même assez de penser aussi mesquinement. Tara baisse les yeux, elle semble gênée. Elle voit bien que je ne décolère pas. Je cherche mes mots. Je ne veux pas dire de bêtises et je ne veux pas la blesser gratuitement, mais je veux être honnête avec elle. Si tout ce que j'ai vécu avec Jasper l'année dernière m'a bien appris une chose, c'est que je ne peux pas tout garder pour moi.
— Tara...
Elle m'adresse un maigre sourire. C'est tellement désarmant de la voir se douter de quelque chose !
— Si Jay n'est pas là demain matin, je rentrerai à Londres.
Elle repose sa tasse, ne s'attendant peut-être pas à ça. Que je me plaigne de Jasper, c'était déjà plus attendu de ma part. Mais je ne peux pas rester ici, après avoir embrassé le cousin, alors que j'attends un bébé de leur fils, alors que je suis en colère contre lui, contre moi, contre ma propre famille disparue ! Je ne suis plus qu'un méli-mélo d'émotions confuses !
— Aly, demain c'est Noël, tente-t-elle en jouant sur la corde sensible.
Je n'ose pas lui dire que ça fait quelques années que ce n'est plus qu'une journée comme une autre à mes yeux. Je l'ai fêté parfois avec Joan et Emaline, d'une manière officieuse et décontractée. Je l'ai passé au lit l'année dernière avec Jasper...
— Je ne peux pas rester. Je sais que vous n'allez pas comprendre, mais j'ai besoin... j'ai besoin de m'éloigner.
J'ai envie de rentrer à Boston. De retourner là où je me suis toujours sentie en sécurité, auprès de Joan, dans mon ancien appartement, à ma petite vie d'étudiante.
Tara se redresse et pâlit légèrement.
— Oh mais... Aly...
— Vous êtes des parents adorables et aimants, dis-je rapidement pour la rassurer. Et franchement j'en veux beaucoup à Jasper de ne pas être suffisamment présent pour vous.
Il y a aussi le fait que je ne veuille pas devenir une femme résignée comme elle, qui attend et espère vainement, mais je préfère me garder cette réflexion.
Tara tend la main pour la poser sur la mienne. Les yeux embués, je la vois déglutir avant de reprendre.
— Il vous aime, vous savez ? C'est une chose dont vous ne devez jamais douter.
Sa déclaration provoque une bouffée de chaleur qui me fait sourire. Bon sang, je vais encore pleurer !
— Je sais, réponds-je sans hésiter.
Et c'est vrai. Je peux parfois douter de ses textos quand je les trouve mécaniques et sans fonds, mais je n'ai jamais douté de ses sentiments.
— C'est moi qui ne sais plus, comprends-je alors.
Tara resserre ma main dans la sienne avant de la relâcher. Elle se redresse et s'éclaircit la gorge tout en acquiesçant.
— Alors je ne peux rien faire.
— C'est déjà beaucoup, lui assuré-je avec un sourire tordu par l'émotion.
On renifle toutes les deux en plongeant le nez dans notre tasse, quand George apparaît dans la cuisine, un petit air complice sur le visage.
— Il est minuit, nous sommes tous debout, on devrait ouvrir des cadeaux, non ?
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Love Lessons - Le Calendrier de l'Avent
RomanceCette histoire est un court spin-off du roman Love Lessons (paru en 2018). Il vaut mieux l'avoir lu, mais je vous mets un petit résumé ci-dessous si vous souhaitez quand même vous lancer dans ce calendrier ! (^-^) * Précédemment dans Love Lessons...