.22 jours après.

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16 heures 12 minutes

Après la page que j'avais lue la dernière fois, je n'avais pas osé retoucher à ce carnet. Ne croyez pas que je n'y avais pas réfléchi, ça m'avait pris la tête des heures entières. Des bribes de souvenirs m'envahissaient parfois, mais ce n'était rien par rapport à ce que je lisais. Revenaient à mon esprit des mots, des phrases parfois, mais une voix déformée, qui changeait la plupart du temps. Quand je repensais à ta main dans la mienne, ou du moins quand j'essayais de l'imaginer du mieux que je le pouvais, une chaleur se répandait au creux de ma paume, comme si elle était réellement là.

Mais cette dernière page... je m'étais senti ébranlé, pénétré, dévêtu. On venait de transpercer mon coeur et de déverser les flots insoutenables du monde sur mes épaules. C'était peut-être ce que je méritais pour ne pas me souvenir de toi.

J'avais trouvé une deuxième photo sur cette page là, je crois que c'était un cliché qui avait été pris le soir où tu avais brillé sous le lampadaire. Elle était belle, je l'aimais bien. On avait nos joues collées l'une à l'autre, rougies, amoureux sûrement. Je l'avais glissée dans la coque transparente de mon téléphone, juste pour la voir tous les jours.

Ton carnet attendait sur la table de chevet, j'allais le lire ce soir. Aujourd'hui, j'avais demandé à Sugawara de m'emmener aux endroits où j'avais l'habitude d'aller avec toi. Pour m'aider.

J'avais hésité à monter dans sa voiture, je ne pouvais pas m'empêcher de repenser à cet instant funeste, mais je me disais aussi que deux accidents de suite, ça aurait été dommage. Très dommage.

- Comment tu te sens, Aka ? fit-il en freinant au feu rouge.

- Disons que ça pourrait être pire.

Ouais, ça pourrait être pire. On pourrait avoir un accident là, tout de suite, mourir. On pourrait sentir des canyons creuser notre peau, et ils auraient l'air de serpents affamés.

On pourrait ne plus être là, tout simplement.

Je sentis un noeud dans ma gorge, il grossissait, petit à petit. Les lumières rouges et bleus des ambulances dansaient dans ma tête, elles ne voulaient pas quitter mon esprit.

Mes doigts se crispèrent sur mes cuisses, les déchiraient, comme les serres d'un aigle attaqueraient un morceau de viande putréfiée. Des flashs agressèrent mon esprit, mon coeur se mit à battre plus vite, plus fort, il cherchait à détruire ma cage thoracique, à la réduire en miettes, pour que plus rien ne puisse le maintenir prisonnier ici. Ma vue se brouilla... je veux descendre ! Je ne veux plus mourir ! Je ne veux plus ! Arrête ! Suga ! Arrête !

Les ampoules vertes du feu apparurent soudainement, m'éblouirent presque et je sentis la voiture redémarrer dans un vrombissement incertain, mais au bout de quelques secondes, elle freina de nouveau, violemment, et se gara sur le côté.

- Aka ? Tout va bien ?

Une main se posa sur mon épaule et sa chaleur se répandit sous ma chair... la morsure envenimée du serpent.

- Je... je veux descendre...

- Oh oui ! Bien sûr ! Je suis désolé, j'aurais dû y penser...

Sugawara descendit en précipitation et ouvrit la portière de mon côté. L'air extérieur rongea ma peau et permit à mes poumons de revivre quelque peu. C'était douloureux, mais j'étais presque sûr que ça l'était moins que ce soir-là.

- Comment tu te sens ? Tu trembles.

- Honnêtement...

Je reprenais ma respiration, les mots venaient du plus profond de ma gorge, là où un poids apparaissait avec l'angoisse, à la limite de la trachée. Là où le noeud refusait de se défaire. Là où ça nous tuait.

- ... je préfère y aller à pieds.

- Si tu veux, ce qu'on peut faire c'est aller autre part mais plus près, comme ça on n'est pas obligés de prendre la voiture.

Mon panel de solutions n'était pas très large, si je voulais aller quelque part, il était clair que la voiture n'était pas une option pour le moment. Mais sincèrement, je voulais rentrer.
C'était fatigant d'être amnésique. Essayer de se rappeler. Vivre avec la peur, la honte, la peine... je voulais dormir un peu, rêver de toi, juste quelques secondes. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale, s'agglutina autour de mes os, comme un tremblement de terre. Le plus gros qu'il ait jamais existé.

Soudain, un bruit vint de derrière nous, quelque chose qui se répétait, grossissait, tambourinait dans ma tête, martelait mes sens. Je n'en pouvais plus, j'étais épuisé...
L'ambulance, le camion de pompier ou peu importe ce que c'était, passa à côté de nous.
Mon coeur explosa alors, lorsque je dessinais les néons lumineux dans ma tête, deux barres blanches qui m'avaient aveuglé, allongé sur le brancard, les poumons écrasés, les jambes en miettes. Ceux de ce soir-là.

- Suga... j'en peux plus...

Les larmes roulaient sur mes joues, fendaient ma chair, je voulais que quelqu'un me sert dans ses bras, me rassure, me dise que tout va bien. Je voulais que les choses aillent bien... que le trou dans mon cœur soit comblé, et que moi aussi par la suite. Je voulais que tout redevienne comme avant...

- On va rentrer, Akaashi... d'accord ?

Je ne sus même pas répondre, tout ce qui sortit d'entre mes lèvres fut un étouffement incompréhensible, un noeud.

C'était à la limite de la trachée.

À nos souvenirs manqués... (Bokuto x Akaashi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant