Lareg voyageait avec un sac noir sur la tête et un bandage autour des yeux. Précaution bien inutile, il n'avait pas besoin de ses yeux pour voir. Il utilisait son don empathique pour visualiser ce qui l'entourait. Il ne savait pas où ses ravisseurs l'emmenaient, partout où il projetait son pouvoir, il ne sentait que vide, solitude et mort. Les hommes du baron s'étaient tus alors qu'ils pénétraient dans une forêt, toujours plus loin dans cette désolation. Même les chiens restaient recroquevillés près du cheval de Sahn. Ils finirent par s'arrêter, hommes et bêtes étaient épuisés par cette nuit sans fin. Sahn aida Lareg à descendre, il lui ôta le sac, mais ni le bandeau ni les cordes qui lui liaient les poignets. Il lui donna à manger et à boire puis le laissa sous la surveillance du baron, accompagné du Nemarok.
Lareg les sentait tous les deux, mais il ne voulait pas que le Nemarok réinvestisse son esprit. Il pensait à son village, à son ami Patch, parti trop tôt, à des moments heureux. Tout pour échapper à l'emprise de cet être démoniaque.
— Où que tu ailles Lareg, je te suivrais ! Tu es dans mon domaine, ici ! Je prendrais possession de ton esprit !
Et sur ces paroles, le Nemarok disparut. Lareg sentait toujours son aura maléfique autour de lui. Il avait l'impression que cette forêt était imprégnée de l'essence du Démon.
— Tu devrais lui obéir, jeune homme. Mon Maître est ici chez lui, cette forêt lui appartient. Tu ne sais pas ce dont il est capable.
Lareg sourit à ces paroles. C'était plutôt le baron qui ne savait pas ce qui l'attendait. Ce noble n'avait pas le pouvoir de sentir l'âme des hommes et encore moins l'aura maléfique de son Maître. Lorsque le Nemarok avait fait irruption dans ses pensées, Lareg avait eu un aperçu de ses émotions. C'était à cause de cela qu'il résistait. Ses intentions étaient mauvaises, au-delà de l'entendement et du supportable. S'il réussissait à avoir les informations qui lui tenaient tant, Lareg ne donnerait pas cher de leurs vies. Il n'allait pas lui faciliter la tâche et obéir docilement. Le Nemarok n'avait qu'à venir chercher lui-même ces informations tant désirées.
— Comme tu voudras ! s'écria le Nemarok.
Lareg poussa un hurlement quand le Nemarok força son esprit, mais il tint bon. Tous les hommes sursautèrent lorsque Lareg se débattit contre un adversaire invisible et qu'il se mit à crier. Il tomba à la renverse, mais personne ne s'approcha.
Ainsi passa toute la nuit. Lareg et le Nemarok se livrèrent bataille jusqu'à l'aurore, aucun des deux ne voulant perdre. Le Nemarok finit par se retirer, abandonnant Lareg au bord de l'épuisement. Le Nemarok avait la conviction qu'en torturant encore le jeune homme psychologiquement, il lui dévoilerait tout ce qu'il voulait savoir. Ce n'était qu'une question de temps.
* * *
Lareg sortit doucement de son sommeil. Par habitude, il voulut s'étirer, mais se rendit rapidement compte que ses membres étaient entravés. Ses bras étaient solidement attachés par des chaines qui lui broyaient les poignets, ses chevilles également. Il sentait la pierre froide et humide dans son dos. La panique commença à l'envahir, avant qu'il ne se souvienne des derniers évènements, l'attaque de son village et sa capture. Il se trouvait dans l'une des cellules du Nemarok. Il ne savait combien de temps il était resté évanoui, après que le Nemarok ait investi son esprit.
À chaque coucher d'Heol, le Nemarok lui apparaissait et une lutte sans merci s'engageait. À l'aube, il le laissait pour mort et ses geôliers avaient pour ordre de ne jamais le laisser se reposer. Toutes les nuits, Lareg subissaient de nouvelles tortures psychologiques qui allaient en intensité. Il revivait encore et encore l'attaque de son village. Il éprouvait à nouveau la peur des deux enfants qu'il avait tenté de sauver. Les crocs des chiens se plantaient indéfiniment dans sa chair, lui arrachant de longs lambeaux de peau. Le sang coulait abondamment de ses multiples blessures. Mais la veille, ses émotions avaient été trop intenses, bien au-delà du supportable et avaient eu raison de lui. Il ressentait encore cette peur, tout son corps vibrait de douleur. Des scènes atroces se rejouaient inlassablement devant ses yeux, de viols, d'égorgements et de meurtres. Il avait assisté malgré lui à des massacres de villages entiers et d'exécutions gratuites.
Il sentait l'intense jubilation du Nemarok face à la souffrance et la mort de milliers d'innocents. Son pouvoir s'agrandissait à mesure que les attaques se faisaient plus nombreuses. Le Nemarok se nourrissait de leurs peurs. Lareg discernait sa puissance à travers le brouillard qui envahissait son esprit. Il ne maitrisait plus son pouvoir empathique. Son esprit s'ouvrait facilement, permettant au Nemarok de jouer avec lui et de recueillir toutes les informations qu'il désirait.
Lareg avait perdu énormément de poids. Ses os saillaient, ses côtes ressortaient à chacune de ses respirations. Il avait le corps recouvert de plaies, particulièrement au niveau des jambes, où de gros rats plantaient leurs griffes et leurs dents pointues. Les premiers temps, il les avait chassé en secouant ses jambes, mais à mesure que la fatigue l'envahissait, qu'il sentait ses forces l'abandonner, il avait arrêté. Il ne faisait plus attention à leurs griffures. Il était las de se battre.
Le Nemarok apparut soudainement devant ses yeux. Lareg se prépara à son intrusion. Il ferma les yeux et contracta tous ses muscles, priant pour que le temps passe plus vite, mais rien ne vint. Il rouvrit les yeux. Le Nemarok n'avait pas bougé, il le regardait d'un sourire narquois.
— Tu es exceptionnel Lareg, cela fait très longtemps que l'on ne m'a pas tenu tête ainsi. Mais cela s'achève aujourd'hui même. Tu m'as donné bien plus que tu ne le penses, lui apprit-il. Grâce à toi, j'en sais un peu plus sur les nouveaux Guerriers et à cause de toi, ils souffrent depuis des jours.
Lareg le regarda, horrifié par ce qu'il venait de lui avouer. Il ne pouvait pas y croire.
— Tu ne le savais donc pas ? Vous êtes tous liés les uns aux autres et par ce lien, ils ressentent toutes vos émotions. S'en est jouissif !
Un sentiment de terreur prit vie dans le cœur Lareg et il perçut dans le regard de son tortionnaire combien celui-ci savourait ce moment. Le jeune homme ignorait les conséquences de son pouvoir et tout ce que cela impliquait. Il croyait bien faire, mais tout cela n'avait servi à rien. Toutes les barrières qu'il avait érigées s'effondrèrent et le Nemarok en profita. Il s'engouffra dans son être, fouilla dans son cœur et son esprit, trouva la source de son pouvoir et l'absorba. Il lui montra les anciens Guerriers, ce qu'eux-mêmes avaient subi. Il lui murmura les atrocités qu'il avait commises et celles qu'il comptait reproduire.
Lareg fut submergé par toutes ces sensations excessives, insoutenables. Même si elles venaient du passé, ces images le hantaient, le rendaient fou. Il en ressentait la moindre souffrance, le plus petit éclat de peur, de terreur. Il se sentit mourir un nombre incalculable de fois. Son cœur s'arrêtait de battre puis battait à nouveau et s'arrêtait encore. Son souffle se bloquait dans sa gorge. Ses muscles se contractaient et se relâchaient, tout son corps tremblait. Lareg hurla en sentant des centaines de lames transpercer sa peau. Il avait l'impression d'avoir le corps en feu. Sa tête résonnait de cris de détresses, de hurlements de peur et de sanglots. Puis tout son corps se relâcha. Sa tête tomba en avant, ses jambes s'effondrèrent sous son poids. Ses bras le retenaient encore, mais la pression de ses chaines finirait par lui briser les poignets. Il s'écroula soudainement de tout son long sur le sol glacé de sa cellule. Le souffle rauque et erratique, il sentit plus qu'il ne vit le Nemarok s'approcher de lui, jusqu'à pouvoir le toucher.
— Elle sera à moi, lui susurra-t-il à l'oreille. Elle l'ignore encore, mais elle viendra à moi et ce jour-là, tu regretteras de ne pas être mort aujourd'hui.
Lareg essaya de reprendre sa respiration et de calmer les battements saccadés de son cœur. Il se recroquevilla sur lui-même, tentant vainement de se protéger du monstre qui lui faisait face.
— Vous comprendrez enfin qu'elle est votre place.
— Q-qu'a-t-t-t-elle d-de s-s-si p-précieux ? bredouilla Lareg.
Les mots que le Nemarok prononça lui firent froid dans le dos, mais il ne put rajouter quoi que soit. Un voile noir s'abattit devant ses yeux et Lareg sombra dans les ténèbres sans fond de sa souffrance.
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Les Guerriers Drakyens - Tome 1
Fantasy- Pourquoi j'ai ce besoin de te toucher quand ça ne va pas ? Pour seule réponse, Eldian la serra plus fort contre elle. "Parce que nous sommes toutes les deux complémentaires. Parce que nous sommes un Guerrier Drakyen. Parce que ton corps ressent ce...