Memory Shadow

Chapitre 1

L'obélisque transperçait de sa pointe le soleil qui amorçait sa descente. Le boucan de Washington s'amplifiait tandis que les métros bondés soufflaient à travers les grilles d'aération. Matthew, un jeune garçon de seize ans parcourait les rues, martelant de son pied le trottoir pour faire avancer son skate. Les cheveux bruns au vent, il slalomait entre les gens tout en écoutant sa musique préférée du moment dans ses gros écouteurs Bluetooth. Il regarda furtivement sa montre. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour arriver à l'heure chez lui. Il accéléra la cadence.

Après les cours, il avait rejoint des amis au Norwood Local Park. Ils s'étaient arrêtés à l'épicerie du centre de Berthesda pour y prendre des boissons. Le petit groupe s'était ensuite posé sur les jeux pour enfant avant qu'ils ne soient assaillis par la marmaille. Assis sur un banc, ils avaient discuté des cours, du sport et des filles qui leur plaisaient. Les amis de Mathew lui avaient appris qu'une camarade de classe du nom de Mia avait eu un crush sur lui. Ils s'étaient quittés sur la meilleure façon de parler à cette « jouvencelle », nouveau mot utilisé par Joshua, l'un de la bande. Matthew avait ri puis balayé d'un geste de la main cette idée : il ne la connaissait pas et préférait s'intéresser aux derniers jeux vidéos sortis qu'à une totale inconnue.

Sur le trajet, il repensa tout de même à cette Mia. Joshua lui avait montré une photo d'elle et il la trouvait plutôt jolie. Bercé par ses pensées et sa musique, il arriva enfin chez lui : Le 4202 Chesy Chase. C'était une maison pavillonnaire comme toutes les maisons qui se trouvaient dans le quartier. Elle n'avait pas de voisin immédiat et était protégée du vis-à-vis par de grands sapins. Il jeta un rapide coup d'œil à sa montre : il n'était pas en retard. Il ouvrit la porte. L'odeur du curry s'insinua dans ses narines.

"Salut man ! Ça sent bon !

— Salut chéri ! Poulet curry coco pour ce soir !"

Il posa son skate à l'entrée, contourna le plan de travail central de la cuisine américaine pour prendre sa mère dans ses bras. Il lui posa un tendre baiser sur la joue et sa mère lui ébouriffa les cheveux.

" Quand est-ce que tu vas arrêter de grandir toi ! Je ne pourrais bientôt plus toucher tes cheveux !"

Matthew rigola. Il récupéra son skate puis commença à monter les marches qui le menaient à sa chambre.

"Par contre la prochaine fois, s'exclama sa mère faussement contrariée, quand je dis dix-huit heures trente, ce n'est pas dix-neuf !

— C'était dix-huit heures trente ? Je croyais vraiment que c'était dix-neuf heures. J'avais même peur d'arriver en retard et je me suis dépêché exprès...

— Aller file, Nemo !"

Matthew aspira ses joues pour représenter un poisson puis lui tira malicieusement la langue.

"Je t'ai vu !" lui cria sa mère tout en retenant un pouffement de rire tandis que le jeune garçon entrait dans sa chambre.

Il déposa son skate, son sac par terre, et balança ses chaussures d'un geste négligent au travers de la chambre. Celle-ci était ordinaire. Un lit prenait la moitié de l'espace tandis que le reste était occupé par des étagères, une commode et un endroit pour travailler. Sur le mur, des posters d'astronautes, de films et de rappeurs se côtoyaient. Des dessins de galaxie étaient affichés du côté du bureau. Les restes d'une bataille vestimentaire gisaient lamentablement sur le lit et le sol. Deux haltères ainsi qu'un tapis trônaient fièrement près du miroir. Matthew sortit ses cahiers de son sac qu'il lâcha sur le bureau dans un fracas. Il s'allongea dans son lit, portable en main.

"J'espère que tu es en train de faire tes devoirs Mathew Michael Petterson !" s'éleva une voix du salon.

Matthew posa le portable. Mais comment faisait-elle pour savoir ! À croire qu'elle avait mis une caméra dans sa chambre ! Il rigola à cette pensée et scruta, soupçonneux, les environs de la pièce. Il se releva puis consentit à se mettre au travail. Avec toute la mauvaise volonté d'un adolescent qui préférait parler avec ses amis plutôt que de faire ses devoirs, il s'affala sur la chaise de son bureau. Il tourna plusieurs fois dessus en regardant le plafond : c'est dingue comme il le trouvait exceptionnellement intéressant aujourd'hui. Puis comprenant qu'il ne faisait que retarder l'évidence, il ouvrit les cahiers. Il prit un stylo, ouvrit ses livres et commença à écrire. La nonchalance de sa plume et son soupir traduisit son manque d'envie notable. Sa concentration étant tout aussi désastreuse que sa mémoire, les feuilles furent rapidement bariolées de plein de traits qui ressemblaient vaguement à des dessins. Il empoigna les feuilles, les froissa et les jeta à la poubelle dans un magnifique lancer à 3 points. Le vibreur de son portable se fit entendre. « Allez, je ne vais pas sur Facebook, je ne scrolle pas, je regarde juste le message... c'est l'histoire d'une seconde ». Il empoigna son portable. Il avait bien un message, mais d'un numéro inconnu.