Chapitre 1

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« Français ! À l'appel de M. le président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l'affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli son devoir vis-à-vis de nos alliés, sûr de l'appui des anciens combattants que j'ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple, tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénouement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »
Discours de Pétain 17 juin 1940.

Furieuse, je jetai la radio à terre, le fracas de cette boîte en métal sur le sol du carrelage de la cuisine se répercutait dans la pièce dans un bruit sourd, comme l'annonciateur de notre perte. Je fulminais, me retenant de crier sous le poids de la colère et de la frustration, sous le regard réprobateur, mais compréhensif de mon père. Après tout, il pensait comme moi. Il ne l'exprimait pas seulement. Il pense, il pense... Tu parles qu'il pense ! Il pensait surtout à comment sauver sa peau, ce lâche ! Il nous donnait en pâture aux Allemands, à Hitler. Sans aucune gêne en plus. Sans chercher à combattre ? Bon Dieu, on aurait pu s'allier aux autres, on n'est pas seul ! Mais non - Monsieur Pétain préférait se rallier à ce fou. À cet homme qui prônait l'existence d'une race supérieure. Race supérieure, mon œil ! Déjà, pour prôner des gens blonds, aux yeux bleus, alors que l'on est soit même brun aux yeux marron, il faut être dingue. Voilà, c'est le mot, dingue, malade, ce n'est pas président qu'il devrait être, mais interné dans un hôpital psychiatrique.

Remarquant mes sombres pensées, mon père se leva de sa chaise, posant sa lourde main, sur mon épaule, essayant de me prodiguer un peu de son calme. Sauf que je le connaissais par cœur et que je savais que ce n'était qu'une façade. Le regard insistant qu'il posait sur une vieille photo de maman, le prouvant. Il faisait toujours ça quand il était soucieux. Comme s'il l'interrogeait alors qu'elle n'était plus de ce monde depuis bien longtemps. Maman... Si tu voyais, ce qui est en train de se passer, ce que notre pays va devenir. Aujourd'hui, en ce jour d'été 1940, notre vie telle qu'on la connaissait prenait définitivement fin. Si seulement on avait eu un homme plus courageux au pouvoir et pas un lâche. Soupirant, je me détachais de mon père, sortant de cette maison qui était devenue bien trop étouffante. J'avais l'impression de suffoquer, j'avais besoin d'air. Puis autant en profiter encore un peu. Bientôt, tous nos faits et gestes seront surveillés sans relâche, alors autant profiter de ces derniers instants de liberté. Bien qu'habitant dans le Sud, l'on soit moins vite touché. Enfin vu à la vitesse à laquelle ils avançaient, on sera aussi bientôt envahi.

Je marchai rageusement dans les champs de vigne bordant notre propriété, profitant du paysage que m'offrait ma splendide région qu'était l'Aquitaine. Quand je pensais que bientôt notre si belle ville de Bordeaux allait être occupée, ça me mettait hors de moi. Je me mis alors à courir, évacuant comme je le pouvais ma haine, ma tristesse... Je courus à en perdre haleine, avant de m'effondrer au sol, criant, pleurant, tapant le sol de mes poings. Comme possédée, je ne pouvais m'arrêter. Puis, soudain, je pensais à eux, à elle. Ma meilleure amie, cette fille que j'aimais tant, avec qui je partageais tant, Levy. Prise d'une peur soudaine, je me remis en route, courant le plus vite possible, je devais la voir, là, maintenant, tout de suite. Je me précipitai jusqu'à chez elle. En arrivant, je m'acharnai sur la porte, avant de voir son père m'ouvrir. Le regard qu'il me jeta me fit comprendre immédiatement qu'ils avaient, eux aussi, suivi l'intervention du maréchal. Quand j'aperçus enfin Levy, accompagnée de sa mère. Sans réfléchir, je me jetai dans ses bras, la serrant le plus fort possible contre moi.

Elle me rendit mon étreinte, affolée. Comprenant mieux que personne ce qui allait arriver. Elle aussi pleurait, tout comme sa mère, seul son père voulait donner un semblant de fierté. Mais il avait ce même regard que mon père, ce même regard déchiré en deux, brisé. Sa mère m'invita à prendre un verre, chose que je ne refusai pas, après tout je venais de réaliser une course folle. M'asseyant au côté de mon amie bleue, je lui serrais la main, avant de saisir le verre de jus de fruits que me tendait sa mère. Un silence de mort régnait, présage de ce qui allait suivre. Personne n'osait parler. La première à rompre ce silence fut Levy.

- Lu... Lucy... Qu'allons-nous faire ? Me demanda-t-elle de sa voix tremblante, prête à craquer à tout moment.
- Je... J'aurais voulu savoir quoi lui répondre, mais... Je n'en sais rien, Levy. M'entendis-je lui dire.

Fruit de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant