Chapitre 7

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« Une conférence qui réunit à Berlin, le 11 juin 1942, tous les services des affaires juives de la Gestapo dans les pays occupés décide de prendre des mesures rapides et efficaces pour appliquer "la solution finale". La France doit livrer cent mille Juifs des deux sexes. »

En arrivant chez Levy, je ne reprenais même pas mon souffle. Débitant à toute allure, ce que je venais d'apprendre. Les mots sortant de ma bouche de manière hachée, incompréhensible. Pourtant, je sus à leurs visages effrayés que le son que je venais de produire ressemblait à une danse macabre pour eux. L'annonce de leur fin prochaine. Paralysé, seul le père de famille réussit à ouvrir la bouche pour me poser une seule et unique question. Comment savais-je ? Je leur racontais alors mon bref entretien avec le soldat qui vivait chez nous. Surprise, hébétement, incompréhension se lisaient sur leurs mines fatiguées par déjà tant de souffrance. Tout comme moi, ils ne comprenaient pas son acte. Mais que pouvais-je répondre à ça ? Je ne le comprenais pas moi-même. En vérité, je ne savais pas ce qu'il cherchait ou voulait. Je ne savais pas pourquoi il avait fait ça, je savais juste qu'il disait vrai. Je les suppliais alors de ne pas sortir, de rester chez eux.

Bien évidemment, ils acceptaient la peur au ventre. Espérant que ce que Natsu est dit soit vrai. Tout comme moi je l'espérais. Soulager, d'avoir pu les prévenir, je pris Levy contre moi, la serrant le plus fort possible. Jusqu'à l'en étouffer. Mais, j'en ressentais le besoin. Ce besoin, de la savoir là, près de moi et en vie. On avait déjà perdu Lisanna, hors de question que je la perde, elle aussi ou qui que ce soit d'autres. Mais étrangement, elle semblait plus s'inquiéter pour moi, que pour elle. S'il m'avait donné cette information, c'est qu'il voulait forcément quelque chose en échange et je le savais aussi bien qu'elle. Rien que d'y penser, j'étais prise de frissons incontrôlables. La peur me tordant les entrailles. Qu'allait-il bien pouvoir exiger de moi ? Ma virginité ? Ça ne m'étonnerait guère.

Pourtant, quand je rentrais chez moi, notre manège habituel reprit son cours normal. Chacun de nous s'ignorant royalement. Bien que je sois désormais sur mes gardes. J'essayais de ne rien laisser transparaître, souhaitant lui donner une image forte. Espérant lui faire croire que j'étais une femme sûre de moi, alors qu'au fond il n'en était rien. Je ne pouvais m'empêcher de le fixer, de l'observer, attendant le jour où il se déciderait à réclamer son dû. Mais jamais rien ne vient. Même pas après la rafle.

Je me souviens de ce jour. L'un des pires de ma vie. Comme convenu, Levy et sa famille étaient restées chez eux. Ne se rendant pas en ville. Les filles qui avaient été mises au courant, surveiller les allées et venues des Allemands ce jour-là. Et elles assistaient à la pire barbarie humaine. Des centaines de juifs enlevaient, arrachaient de leur foyer, pour être envoyé on ne sait où. Dans des camps où l'on ne savait même pas à quoi ils ressemblaient. Aucune description précise de ces endroits nous parvenant. Pourtant, j'étais sûre que c'était l'enfer sur terre. Je le sentais au plus profond de moi. Et même si j'étais révolté, rempli de haine et prête à hurler, je ne pus m'empêcher de me sentir soulager en apprenant que seul le centre-ville serait touché, comme l'avait dit Natsu. Un bonheur immense me saisit, car Levy serrait là avec nous. Mais pour combien de temps encore ?

J'avais beau me réjouir, je n'étais pas dupe. Je savais qu'ils n'allaient pas s'arrêter. Les affiches de propagande, la radio... Tous nous poussaient à vouloir les dénoncer, les livrer. Mais nous croyaient-ils si stupides ? Si bête que ça ? Apparemment oui, mais j'avais, limite, envie de dire tant mieux. Car même la peur ne me quittait plus et me tordait les entrailles un peu plus chaque jour. Que je me réveillais parfois la nuit en sursaut, le corps recouvert de sueur à cause de la frayeur, de la panique, je me disais que s'ils nous prenaient pour plus bête que nous n'étions, nous finirions par les avoir. Après tout, ce n'est pas parce que l'on avait un soldat allemand chez nous que l'on n'était plus au courant de rien. Jamais la résistance n'avait été aussi proche. Aussi palpable qu'en cet instant. Elle grondait tel un bruit sourd, aux prés des oreilles de ces imbéciles de boches. Qui un jour ou l'autre, ils payeront pour ce qu'ils ont fait. Enfin, je l'espérais. J'avais besoin d'y croire. Pour tenir !

Cette année-là, on ne fêtait ni Noël ni le jour de l'an. Nos cœurs n'étaient pas à la fête et puis comment pourrions-nous inviter ne serait-ce qu'un de nos amis avec Natsu ?
Ramener Levy ici c'était comme la conduire à l'abattoir. Bien qu'il lui ait sauvé la vie, en m'informant qu'elle ne devrait pas sortir de chez elle, il n'en restait pas moins un SS. Bien que je commence à mettre sérieusement en doute sa santé mentale. Son visage, autrefois impassible, laissait entrevoir de plus en plus de douleur et de souffrance. Comme s'il portait toutes les peines du monde sur ses épaules. Je ne le comprenais pas et ça me faisait peur. Jamais je ne lui avais accordé la moindre attention, jusqu'à ce qu'il me prévienne pour Levy et me mette dans un état d'alerte permanent, suite à ce qu'il pourrait me demander en échange.

D'un parfait inconnu pour lequel je n'avais aucune considération, il était devenu mon obsession. Mon cauchemar ambulant. Et les rares réactions de violence qu'il était capable d'avoir me mettaient dans un état de panique intense. Peu de temps après le passage en 1943. Je le vis partir pour une de ces maudites rafles de juifs dans les villages aux alentours du Nord. Le maudissant lui et tous ces semblables. Je le surpris, le soir même en train de détruire des journaux français, promulguant la loi nazi. La violence qu'il mettait dans ses gestes me fit peur. S'il était capable d'autant de haine face à de simples objets, quand était-il face à des humains ?

Craignant pour notre vie, j'en parlais à mon père qui semblait tout aussi intrigué que moi par ce comportement. Lui non plus ne comprenait pas un tel acharnement, une telle haine, mais surtout cette tristesse omniprésente. Cet Allemand respirait le malheur et le désespoir à plein nez. Quand j'en parlais aux filles, elles me disaient de ne pas m'en faire. De l'ignorer. Mais comment ignorer une personne qui vit sous son toit alors que celui-ci est capable de tout. Plus le temps passé et plus il me faisait peur. Déjà que nous vivions dans la crainte constante d'un bombardement, d'une extermination, d'une rafle... Il fallait en plus de cela qu'il en rajoute une couche par son comportement torturé.

Épuisé de vivre comme cela, avec une bombe à retardement à la maison, je devenais hargneuse, n'hésitant pas à me montrer agressive envers lui. Bien sûr, je ne fonçais pas dans le tas, comme Erza aurait pu le faire. J'étais bien plus subtile. Mon regard noir, mes répliques cinglantes quand il m'adressait la parole même si c'était toujours pour des broutilles montraient ma colère, ma rage, ma fatigue. Mais mes paroles étaient aussi la démonstration de ma frayeur face à lui. Mon agressivité n'était qu'une défense, face à de potentielles représailles que je n'attendais plus.

Puis un soir, je le surpris en pleurs sur la table de notre cuisine. Incrédule face à cette situation, je ne réagis pas tout de suite. Me contentant de le fixait de mes grands yeux noisette. Inconsciemment, je me mis à ressentir de la peine pour lui. Je ne sus pourquoi, mais le voir dans cet état de faiblesse me toucha particulièrement. Je me mordis la lèvre inférieure, réfléchissant à la meilleure façon d'agir. Et alors que je réalisais que je devrais m'en aller, le laissant à ses démons intérieurs, car après tout c'est tout ce qu'il méritait en tant que nazi, je me stoppais dans ma marche, en l'entendant gémir. Jetant un rapide coup d'œil en direction de la lumière émanant de la pièce où il était. Me disant alors, que si je le laissais là, sans rien faire je ne vaudrais pas mieux qu'eux. Qui sait peut-être que si je lui venais en aide, il sera plus clément.

Je montais alors dans ma chambre, cherchant un mouchoir en tissu. Avant de lui amener. En arrivant dans l'embrasure de la porte, je me figeais. Et s'il le prenait mal et s'en prenait à moi ? Hésitante, je finis par me décider en le voyant renifler. Hors de question de l'entendre produire ce bruit toute la soirée. J'avançais lentement, tremblante, la peur me nouant le ventre, avant d'oser me lancer.

- Excusez-moi, Monsieur ? L'interpellais-je de ma voix la plus douce possible, mais les trémolos dans ma voix trahissaient ma crainte.

Surpris, il releva la tête brusquement. Avant de me fixer de ses grands orbes verts. Me détaillant des pieds à la tête, m'analysant. Balançant mon bras qui tenait le mouchoir, je le lui proposais. Il me regarde alors comme si j'étais anormal. On aurait dit qu'il me voyait pour la première fois et ce que je vis dans son regard me perturba. De la reconnaissance, du soulagement, de la joie presque. Avançant timidement sa main, il se saisit du mouchoir effleurant mes doigts au passage, m'arrachant un frisson. Stupéfaite par ce contact, je me retirais brusquement, avant de m'enfuir sous le regard du soldat, qui désormais ne pleurait plus.

Les jours suivants, le train-train quotidien reprit son cours. Chacun voguant à ses occupations, faisant comme si de rien n'était. Mon père allait toujours à la pêche aux renseignements. M'apprenant que cette année la résistance était définitivement en place. Tous ces soi-disant accidents étaient en réalité l'œuvre d'homme encore libre, se battant pour la France. Si seulement nous aussi nous pouvions participer. On avait commencé avant que l'arrivée de Natsu ne gâche tout.
Natsu... Depuis le soir où je lui avais donné le mouchoir, il ne cessait de me regarder, même si ce n'était pas tout le temps, je sentais bien son regard perçant sur moi. Inquiète de ce soudain intérêt pour ma personne, je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour l'éviter, mais comment éviter quelqu'un qui vit sous notre toit ? C'était comme vouloir ne pas voir son reflet dans le miroir le matin, c'était impossible.

Je faisais donc avec, me plongeant dans le mutisme qui était le mien lorsqu'il était là, créant une atmosphère glaciale. Mais que pourrai-je lui dire ? Je le haïssais par nature, même si son drôle de comportement me rendait curieuse, voire sensible à sa personne. Je me remettais toujours en tête qu'il n'était qu'un sale nazi prêt à éradiquer tous ceux qui n'étaient pas comme lui et surtout qui ne pensaient pas comme lui. Alors quand je le vis rentrer dans la cuisine me proposant son aide pour le repas, je ne lui répondais pas, me contentant, d'accélérer la cadence dans l'épluchure de mes légumes, irritée. Au point où sans m'en rendre compte je me coupais avec le couteau, m'arrachant un petit cri de douleur au passage. Et alors que j'allais passer ma main sous l'eau, Natsu saisit ma main, l'enroulant autour du mouchoir que je lui avais passé.

- Vous devriez faire plus attention. M'avertit-il.
- Vous l'avez toujours avec vous ? Dis-je surprise qu'il l'ait conservé. Pas étonnant que je ne le retrouve pas !

Ce à quoi il ne répondit rien, se contentant de me sourire. Gêné par cette soudaine intimité, je tentais de me dégager, souhaitant me soustraire à son emprise bien trop perturbante.

- Arrêtez de bouger, vous allez augmenter le saignement. Soufflait-il exaspérer par mon comportement puéril à ses yeux.
- Je n'ai pas besoin de vous et je ne veux rien à voir à faire avec vous. Lui répondis-je sèchement, lui lançant un regard noir.

Heurté par mes propos, il se renfermait, laissant entrapercevoir ce visage pâle et triste qui semblait être le sien sous ses airs détachés. Ce même visage que lorsqu'il pleurait. Soudain, il planta son regard dans le mien, posant sa main libre sur ma joue.

- Je ne veux pas que tu me haïsses. Lâcha-t-il la voix tremblante. Avant de m'attirer à lui posant son front contre le mien. S'il te plaît... Ne me hais pas. Murmura-t-il sa tête tombant sur mon épaule, les larmes ruisselantes sur ses joues.

Fruit de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant