Chapitre 10

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« Le 17 mai 1943, Mademoiselle X, habitant rue Dupaty, apprentie coiffeuse de 14 ans, vers midi était chez sa patronne et jouait avec les enfants de la maison qu'elle aimait bien. Sur le coup de midi, le mari de la coiffeuse est arrivé et lui a proposé de manger avec eux, elle a refusé. Le magasin de sa patronne était situé à l'angle de la Blanqui et de la rue François Chambrelant. À peine était-elle sortie de la maison et avait fait plusieurs mètres, que le sifflement d'une bombe a envahi la rue et qu'une explosion s'en est suivie. Le magasin de sa patronne a été détruit et son mari tué. »

Des bruits de pas qui accourent, tel un chant funèbre. Une douce mélodie satirique sonnant comme le son du glas à mes oreilles. Une épée de Damoclès pendue au-dessus de ma tête. Je devais fuir, vite, loin. Peu importe, où j'allais, du moment que j'étais en sécurité. Cependant, mes jambes se faisaient de plus en plus lourdes, comme si elles refusaient de me porter. J'avais beau pousser dessus comme une forcenée, rien n'y faisait. Prisonnière d'une nuit sans fin, je ne voyais pas où j'allais. Mes jambes me portant à peine, j'errai, perdu dans ce monde de cauchemars. Soudain, j'eus l'impression que le temps se figeait. Ils nous avaient rattrapés, m'avaient rattrapé. Ils allaient me prendre tous ceux que j'aime. Encerclé par des dizaines de nazis, je vis l'un d'entre eux s'avancer vers moi, m'arrachant un cri de douleur.

- Oh, mais regardait qui voilà ! Une jolie rebelle, blonde qui plus est... Dites les gars, que direz-vous si l'on s'amuse un peu. Déblatérait mon tortionnaire, me broyant le bras.

Terrifier, je me mis à crier leur priant de me laisser tranquille. Mais mes plaintes refusaient de sortir de ma bouche, elles restaient coincées dans ma gorge, telle une pelote de chat. Des centaines de mains, se mirent à me caresser, des mains sales souillaient par le sang. Mes vêtements ne m'étaient plus d'aucune protection. Je me retrouvais enfoui, sous le poids de ces corps inconnus. Mon corps refusant de se débattre, j'étais impuissante, seules les larmes coulaient le long de mes joues. Et quand je crus qu'un des hommes allait faire de moi sa chose, je hurlais.

Le pou saccadait, la gorge sèche, les joues ruisselantes de larmes, ma robe de chambre me collant à la peau, due à la sueur... Tout mon corps inspiré la panique, l'effroi et à peine réalisais-je l'endroit où je me trouvais, que j'entendis la porte volée en éclats, la lumière m'agressant la rétine. En une fraction de seconde, je me retrouvais prisonnière des bras de mon père, qui me serrait à m'en étouffer. Sa poigne me réconfortant, je n'arrivais plus à réagir, mon corps restant ballant au creux de ses bras.

- Tu as encore fait ce même cauchemar ? Questionnait-il, sa voix reflétant son inquiétude.

Enfermer dans mon mutisme, j'acquiesçais. Depuis mon agression, je faisais toujours le même rêve. Je courais à en perdre haleine, pour à la fin me faire attraper et violer. Je pensais que depuis la veille mes nuits serraient sans songes, mais aussitôt avais-je rejoint mon lit, que mes démons me reprirent. Comme si mon psychisme refusait de passer à autre chose. Pourtant, j'aurais dû être heureuse, nous avions sauvé Levy hier et j'avais appris que le soldat qui vivait sous notre toit n'était pas celui qu'il semblait être.

Et alors que je me perdais dans mes sombres pensées, j'entendis quelqu'un toquer à la porte. Relevant la tête, j'aperçus une touffe de cheveux roses et un torse mis à nu. Intrigué et très certainement anxieux, face à ma crise de panique nocturne. Natsu venait voir si tout allait bien. Depuis hier soir, son visage avait retrouvé un semblant de joie, et je voyais parfois un léger sourire se dessiner sur son visage. Maintenant que l'on connaissait sa véritable identité, il n'hésitait plus à venir nous voir, à prendre de nos nouvelles. Il n'était plus ce soldat allemand, cet étranger que l'on était forcé d'héberger.

- Ça va ? Ce n'est pas la première fois que je t'entends, mais... enfin, je veux dire avant, tu n'aurais sûrement pas apprécié ma venue. S'exprimait timidement notre locataire.
- Je n'arrête pas de rêver de ce soir où les nazis m'ont accosté... Sauf que cette fois tu n'es pas là pour me sauver. Avouais-je, touché par sa prévenance.

Hésitant, il questionnait mon père du regard, avant de s'avancer dans mon antre. Prudemment, et quelque peu fébrile, il s'asseyait à mes côtés, sa main se posant sur ma tête se voulait réconfortante. Prise d'une impulsion, et d'un besoin irrépressible de me sentir en sécurité, je me lovais dans ses bras, ma tête contre son épaule. Surpris, il mit un moment à réagir, avant de refermer ses bras autour de moi, sa main caressant mon dos, dans un geste protecteur. La douceur dont il faisait preuve et la force qu'inspirait son corps me mettaient tout de suite à l'aise. Fermant les yeux, je savourais cet instant, profitant de sa bonté.

Et bien que je sache que ça ne se faisait pas, et qu'il risquait de mal le prendre, je demandais à mon père l'autorisation de dormir avec Natsu. Je savais que ce n'était pas conventionnel, mais j'avais besoin de dormir, et hier soir j'avais pu dormir, grâce à la présence réconfortante de notre Alsacien. Quelque peu hésitant et retissant face à cette idée, il finit par accepter. Natsu lui promettant de ne rien faire, qui pourrait l'embarrassait. Soulagé et heureuse de pouvoir profiter de son calme apparent et de son aura apaisante. Je retournais sous mes draps, l'entraînant avec moi, me blottissant contre son corps, profitant de sa chaleur.

Suite à cette nuit, je passais toutes les autres avec Natsu. Si je ne le voyais pas le rester de la journée, nous étions devenus inséparables le soir venu. Grâce à lui, je passais des nuits sans cauchemars, sa présence suffisant à m'apaiser. Jamais il ne tentait le moindre rapprochement, se contentant de me prendre dans ses bras. Pourtant, une très grande complicité s'était créée entre nous. Nous parlions beaucoup et j'appris à le connaître.

Je sus qu'il n'était pas comme cela avant, qu'il était quelqu'un de jovial, d'heureux, souriant, un brin bagarreur, surtout avec son meilleur ami. Mais comme nous tous, la guerre l'avait changé, créant un être qui n'était plus que l'ombre de lui-même. Sa seule crainte était qu'ils s'en prennent à sa famille. Ignir, son père, un ingénieur qui avait gardé des séquelles plus psychologiques que physiques de la Première Guerre mondiale, sa mère Grandine et la prunelle de ses yeux, sa petite sœur Wendy, âgées d'à peine douze ans lors de son départ. Une petite sœur qu'il regrettait de ne pas voir grandir.

Je lui parlais à mon tour, de ma vie, de mes amies, de ma mère décédée suite à une maladie incurable. De mon envie de devenir professeur des écoles après la guerre. Les postes s'ouvrant enfin aux femmes. De ma passion pour la lecture. Selon lui j'étais unique, non pas à cause de mon physique, ça, c'était plutôt lui avec ses cheveux roses, mais à cause de mon courage et de ma détermination. Il aimait bien me comparer à Élisabeth Bennet. Me faisant doucement sourire.

Ils nous arrivaient aussi, de rester dans le plus profond des silences, sans jamais ressentir la moindre gêne. Parfois encore, je le retrouvais en larmes le soir, surtout après les exécutions forcées. Dans ces moments-là, les gestes avaient plus de poids que les paroles. J'étais devenu son pilier, et il était devenu l'un des miens. M'aidant à supporter toute la cruauté du monde extérieur. Notre relation se construisit lentement, mais sûrement, créant comme une connexion entre nous. Il suffisait parfois que l'on se regarde dans les yeux, pour que l'on se comprenne. Notre complicité était étrange et parfois ambiguë certes, mais j'aimais ce que l'on avait créé. Nous ne nous posions pas trop de questions, on vivait au jour le jour.

De toute façon que pouvions-nous faire d'autre ? Plus le temps passé et plus l'atmosphère devenait malsaine. Les Américains avaient choisi de rejoindre le général de Gaulle. Équipés de plusieurs bombardiers, ils avaient déjà bombardé la ville en mai dernier, faisant de celle-ci un cadavre à ciel ouvert. Je ne voyais pas comment mieux définir cette ville que je chérissais tant. Très souvent, je me rendais dans les vieux quartiers de Bordeaux, les anciens que nous fréquentions quand on était enfant. Accompagné d'Erza et Mirajane désormais, ils nous arrivaient de soulever les décombres d'un ancien commerce, à la recherche d'un passé radieux. Le bruit des bombes sifflant dans l'air aurait dû nous faire plaisir. Les alliés et la résistance n'avaient jamais fait aussi de mal que maintenant. Cependant comment pourrions-nous nous réjouir d'un potentiel recul des Allemands, face à de telles circonstances ? Des centaines de personnes perdaient la vie, des citoyens innocents. Évidemment que dans le lot des nazis mouraient, mais à quel prix ? Je ne savais pas si je devais leur en vouloir ou non. Après tout si cela nous permettait de faire tomber Hitler et son armée. Il y a toujours des pertes innocentes dans une guerre me disait mon père.

Mais comment les accepter ? Comment accepter que l'on nous enlève des êtres chers qui vivaient dans la peur et dans l'espoir des jours meilleurs. Dans l'espoir d'un monde sans Hitler. Je me posais sans cesse la question et très vite elle occuperait toutes mes pensées. Trois mois après la fuite de Levy, on apprit que les alliés allaient renforcer leur action. Que les nazis commençaient à avoir peur, ils sentaient que la situation leur échappé et cela malgré la propagande mensongère de leur chef. Ce chef ignoble, pourri jusqu'à la moelle, qui se fourvoyait en beauté, se croyant meilleur que tout le monde. J'attendais avec impatiente le jour où il sera capturé et tué par les alliés, voire mieux, la résistance. Mais pour cela, il fallait plus d'action militaire. Plus de bombes, plus de tanks, plus de morts.

Le six septembre 1943, d'autres bombardements eurent lieu. On les entendit au loin, nous réveillant en sursaut. Inquiet, ne sachant quel côté de la ville ils allaient toucher cette fois-ci, on attendit le petit matin avec empressement. Quand les premières lueurs du jour perçaient enfin l'horizon, on s'attelait à notre préparation. Se dépêchant de se rendre sur les lieux. En arrivant, la panique régnait en ville, chacun essayant de savoir si des proches à eux avaient été touchés. Inquiète pour mes amies, je fus soulagée de voir au loin Mirajane, aidant une vieille dame à ramasser ce qui fut autrefois sa maison. Ne souhaitant pas la dérangeait, je lui fis signe, lui faisant comprendre que je continuais ma route, cherchant quel autre quartier aurait pu être meurtri. Cependant, je crois que j'aurais mieux fait de ne pas fouiller.

En poursuivant ma route, j'aperçus au loin les cheveux roses de Natsu. Il aidait discrètement un monsieur, sans qu'aucun nazi ne le remarque, tous les habitants de la ville étant désormais au courant de son identité. Je souris face à cette vision, sachant très bien que ça lui faisait du bien au fond, de savoir que les gens ne le voyaient plus comme un monstre. Il préférait de loin, ce regard de pitié, que celui qu'on lui réservait au départ. Un regard froid, rempli de dégoût et de terreur. Mais ma joie fut de courte durée, quand j'analysais plus en détail le quartier où l'on se trouvait. On n'était pas loin de celui d'Erza. Inquiète et angoissais, je cherchais du regard les orbes onyx de Natsu, espérant y voir une nouvelle rassurante. Mais au lieu de voir son regard s'illuminait comme à son habitude quand il me voyait, je vis, ses traits se figeaient, sous le poids d'une douleur émotionnelle. Ses yeux me renvoyant l'écho de ma propre détresse intérieur.

Alarmé par ce regard, je me mis à courir, évitant avec adresse sa poigne qui souhaitait me retenir. Je ne pouvais pas croire ce que je pensais. C'était forcément faux, une blague de mauvais goût. L'adrénaline se rependant dans mes veines, je cherchais un immeuble en particulier, le regard fou. Mais à sa place, je n'y vis que des ruines. L'affolement, le stress, à son paroxysme, j'apparentais les ruines, faisant la sourde oreille aux plaintes de mon invité. Soudain, je vis une chevelure écarlate étendue à même le sol. La peur au ventre, je m'approchais avant de m'effondrer, meurtrissant mes genoux. Devant moi, se trouvait mon amie, le corps en miette, inconsciente, j'entrepris de la réveiller, la secouant, l'appelant de toutes mes forces, faisant abstraction des pierres qui recouvraient ses jambes si galbaient, de son bras ayant un angle anormal.

Puis je pris conscience que tous mes efforts étaient vains, quand Natsu me priait d'arrêter. Me serrant contre lui, m'éloignant bien malgré moi du corps sans vie. Le cœur rempli de haine, je le frappais de mes poings, hurlant ma rage au monde entier. Répétant sans cesse que ce n'était pas possible, qu'elle aussi elle ne pouvait pas m'abandonner, qu'elle n'avait pas le droit. Pas Erza, pas la fille la plus forte que j'ai jamais rencontrée. Pas celle qui me défendait devant les autres, celle qui était toujours là pour nous secouer, nous remonter le moral, celle qui avait un fraisier à la place du cœur. Prenant conscience que je venais de la perdre elle aussi, je cessais brutalement la violence, laissant place aux larmes. Je m'effondrais contre Natsu, m'accrochant à lui comme je le faisais parfois. En me demandant pourquoi on me l'avait pris elle. Pourquoi faisait-elle partie des pertes innocentes ?

Fruit de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant