Chapitre 5

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« Le 25 août 1942, le Gauleiter Robert Wagner persuade Adolf Hitler de mettre en place le service militaire obligatoire en Alsace. Ceux qui déserteront verront pour la plupart leur famille envoyée dans les camps de concentration. »

Toute l'année 1941, nous la consacrions à sauver des vies. Et plus le temps passé, plus l'on se retrouvait avec du monde à sauver. Surtout depuis la première rafle qui eut lieu le quatorze mai. Notre gouvernement putride avait osé livrer tous ces pauvres innocents à ses fous furieux. Pourri jusqu'à la moelle, personne n'avait tenté de les empêcher. La police avait gentiment exécuté les ordres comme les pauvres moutons qu'ils étaient, abandonnant des milliers de gens aux mains des nazis, les laissant les envoyer dans leur camp de l'enfer.

Oh, mais ce n'était que des juifs polonais pour la plupart, qu'ils racontaient. Et alors ? Quelle différence cela faisait, c'étaient des êtres humains que l'on condamnait, les envoyant à l'abattoir. Furax, je me souviens avoir hurlé en l'apprenant, et je ne fus pas la seule. Mes amies ainsi que tout le peuple français, qui n'étaient pas partisans du régime de Vichy, furent choqués, perdus. La colère montait dans la population qui ne supportait plus cette situation oppressante. Les mouvements de foule, les actes isolés ou organisés, la presse clandestine... Tous ses mouvements de rébellion prenaient de plus en plus d'ampleur, créant une solidarité sans faille entre les personnes qui se venaient en aide. Une véritable résistance se mettait en marche, sous les yeux des nazis qui ne se rendaient compte de rien. Nous croyant soumis, persuader de leur victoire.

Suite à ces événements, mon père et moi, on redoublait d'efforts, essayant d'aider le maximum de gens possible, sans pour autant se faire repérer. Et c'était de loin le plus dur. L'oppression était permanente, l'on se devait d'être le plus vigilant possible. Heureusement, pour moi, les filles que j'avais mises au courant me soutenaient, même si elle ne prenait pas part avec moi, leur soutien sans faille m'aider à tenir, à retrouver le courage que je perdais parfois.

Mais je crois que ce qu'il m'aidait le plus à tenir le coup, c'était cette veste. La veste que Loki m'avait laissée en partant. Je savais qu'il avait réussi à passer la frontière avec succès et qu'il était désormais en sécurité, je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il faisait parfois. Aussi étrange que cela puisse être, il me manquait. Pourtant, depuis lui, j'en avais vu défiler des personnes chez moi ayant besoin de notre aide, j'en avais hébergé et certains plus longtemps que lui. Mais jamais aucun d'eux ne me montra l'attachement dont Loki avait fait preuve à mon égard. Certes, ils étaient reconnaissants, mais je ne liais jamais aucun lien réel avec eux, aucune amitié ne voyait le jour. D'un côté, je me disais que ce n'était pas plus mal, je ne m'attachais pas à eux comme cela et la séparation en était moins dure.

Avec du recul, je me demandais, si Loki n'en était pas venu à éprouver pour moi plus que de la sympathie. Comment un homme que j'avais connu en à peine deux jours avait pu devenir aussi important ? C'en était aberrant et effrayant. Mais au fond, je ne regrettais rien, car c'est lui qui m'avait donné la force d'avancer, c'est lui qui m'avait ancré dans mes convictions et dans ce besoin, dans ce devoir envers mes concitoyens.

Bien évidemment, à chaque fois, que l'on hébergeait une nouvelle famille, de nouvelles personnes, qu'on les amenait jusqu'à notre point de rendez-vous. La peur me tordait toujours les entrailles. L'angoisse me gagnant tel l'infâme poison qu'elle représentait. L'envie de fuir, de me réfugier quelque part, dans un endroit où je ne risquerais pas ma vie, me frôlait l'esprit constamment. Mais il suffisait que je les regarde. Ces gens, qui avaient tout perdu et qui n'avaient plus rien à perdre. Ces gens, qui n'avaient plus que leur vie, qui n'avait plus que nous. Que je repense à Loki et je retrouvais mon courage. Une tempête faisait alors rage en moi. Une tempête où force, crainte, doute, certitude se mêlaient pour former un ouragan, qui me dévastait de l'intérieur et qui étrangement me faisait sentir vivante.

Et je ne sais par quel miracle, on s'en sortait à chaque fois. Jamais on ne se fit prendre, puis de toute façon si l'on s'était fait prendre, on aurait été exécuté, sans ménagement. Et alors que ces temps-ci étaient calmes, en ce début du mois de décembre, je reçus un appel de Mirajane, me priant de venir les rejoindre au plus vite avec Levy. Interloqué par son ton brisé et par ses sanglots que je devinais au travers du combiné, je ne posais pas de questions et m'exécutais. Demandant à mon père de me déposer chez Mirajane, avec Levy. Il ne bronchait pas en voyant mon malaise et mon inquiétude. Saisissant les clés de son camion, l'on fonçait récupérer Levy, avant de se rendre chez la famille Strauss.

Quand je vis Levy arriver, je fus meurtri de la voir dans un tel état de souffrance. Amaigri, c'était avant tout son état psychologique qui m'alarmait le plus. Depuis que la première rafle avait eu lieu à Paris, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Si elle avait déjà peur avant des Allemands, c'était pire maintenant. Elle regardait le monde qui l'entourait telle une folle qui serait poursuivie et c'était vrai en quelque sorte. Persuader que les juifs polonais n'étaient qu'une étape dans leur processus d'extermination. Elle était convaincue que bientôt l'État français livrerait ses propres juifs. Sans cesse, sur le qui-vive, elle ne dormait plus ou que très peu et des crises d'angoisse commençaient à faire son apparition, la rendant plus fragile qu'elle ne l'était déjà. Alors quand elle me rejoint dans l'habitacle chauffé du véhicule, je la prenais contre moi, la serrant très fort dans mes bras, essayant de lui donner de ma force.

Le trajet se fit en silence et je regardais défiler le paysage sous mes yeux. On était sorti de notre campagne et de nos champs de vigne environnants, pour enfin arriver à la lisière de notre ville. Notre très chère ville n'est plus ce qu'elle était. Si les bâtiments les plus illustres semblent pour la majorité en bon état, il n'en est rien au fond. Après tout, divers endroits de la ville ont été bombardés lors de l'année dernière au début de l'invasion allemande. Une façon très subtile de nous faire savoir que l'on n'était rien face à eux. Cent quatre-vingt-cinq. C'est le nombre de morts qu'il y a eu ce jour-là. Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Les dix-neuf et vingt juin 1940. Plus tard, il y en a eu d'autres, mais le nombre de victimes fut moindre, voire nul, mais notre ville en payait quand même le prix. Dernier bombardement en date, celui des treize et quatorze avril de cette année. Je regardais alors, mélancolique, les vestiges défilés sous mes yeux.

Je me souvenais encore des maisons et quartiers qui avaient vécu ici, je me souvenais y être passé, y avoir joué étant enfant, y avoir rencontré du monde. Et il ne restait plus rien, si ce n'est des gravats. Des tas immondes de ciments défigurer le paysage de cette ville si magnifique, qu'il n'avait pas touchée en son cœur. Tout du moins pas encore. Soupirant, je détournais le regard, ne supportant plus cette vision post apocalyptique. Jetant un bref coup d'œil à Levy, je vis qu'elle aussi était plongée dans la contemplation des dégâts. L'air grave, je fixais mes mains, avant de regarder à nouveau le paysage, avec une seule question en tête. Combien d'autres bombardements y aurait-il encore ? Quand n'aurai-je plus peur d'entendre un avion passé au-dessus de nos têtes ?

Arriver dans le centre-ville, on se précipitait chez les Strauss, le cœur serré, attendant d'apprendre ce qu'il y avait de si urgent. Quand on pénétra dans l'appartement, on y découvrit Erza et ses parents, ainsi que la mère de Mira, Elfman et Lisa, ainsi que leur beau-père en pleurs. Inquiète, on chercha du regard ce qui n'allait pas avec Levy, avant de voir fondre sur nous Mira et son frère qui nous prirent dans leurs bras, eux aussi les larmes aux yeux. En ne voyant pas Lisanna, on se mit à paniquer, jusqu'à ce que Mira et Elfman nous conduisent dans une chambre. Celle de leur sœur.

Ce que l'on vit à cet instant était de loin l'une des pires choses que l'on ait eu à voir de notre vie. Lisanna, étendue dans son lit, blanche, telle une morte, la respiration lourde. Les pommettes creusées comme jamais. Des cernes violacés ornaient ses magnifiques yeux bleus océans, qui venaient de perdre tout leur éclat d'antan. Elle nous sourit faiblement en nous voyant avec Levy, nous faisant signe de nous approcher. Hésitante, on s'avançait finalement vers la malade, la saluant chaleureusement.

Fruit de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant