Chapitre 6

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« D'autres recrues qui refusèrent de porter l'uniforme allemand furent emmenées en redressement dans le camp de sécurité de Schirmeck, où les menaces, les tortures et autres mauvais traitements eurent raison de leur résistance. Environ quarante-cinq mille récalcitrants, civils ou futurs recrus, seront matés au camp de Schirmeck. Dans ce camp séjournèrent aussi des gens arrêtés pour fait mineur. Ainsi, avant son incorporation, Alphonse Liechty, un frère de ma mère a été arrêté avec ses camarades conscrits après avoir chanté la Marseillaise dans les rues de Ste Croix en Plaine. Marcel Ritzenthaler de Horbourg, un artiste au grand cœur, ami de la famille a été arrêté par la Gestapo qui le suspectait de vouloir s'évader à travers les Vosges. Il avait aussi déclaré : "je suis Français et par conséquent, je ne porterai pas l'uniforme allemand".

Stupéfaite. Je le regardais franchir le seuil de notre porte. Les yeux me sortant de leur orbite, je mis un moment à me reprendre. À vrai dire, je ne revenais à la réalité qu'après que mon père m'ait interpellé plusieurs fois.

- Lucy ? Lucy, conduis-le dans notre chambre d'amis, s'il te plaît. Me souffla-t-il impartial, mais meurtri au fond, tout comme moi.

Avalant difficilement ma salive, je lui faisais signe de me suivre. Hors de question, que je lui adresse la parole. On montait à l'étage ensemble, chacun de nous gardant ses distances avec l'autre. En arrivant en haut, je lui montrais la chambre en face de la mienne. Cette chambre avec son lit double, son armoire et sa fenêtre. Une chambre toute simple, mais qui avait sauvé tant de monde, qui aurait dû en sauver encore d'autres. Cette chambre, où Loki avait dormi. L'une de mes plus belles rencontres. Je ne pouvais concevoir que ce monstre puisse dormir là, dans ses draps. Furieuse, je le laissais là, l'abandonnant une fois qu'il fut dedans. Me retenant de justesse de claquer la porte, derrière moi.

Comment ? Comment osait-il ? Comment pouvait-il nous imposer d'héberger l'un des leurs. Un de leurs monstres. Ils n'avaient pas le droit ! On était chez nous ! On avait notre mot à dire, mais je me rendais bien compte qu'on ne vivait plus chez nous. Ils nous avaient envahis, dans tous les sens du terme, et ils s'installaient où bon leur sembler. Furax, je commençais à cuisiner. M'acharnant sur ses pauvres aliments qui n'y étaient pour rien. Sous le regard attentif, de mon père, qui m'examinait, jugeant si j'étais apte à faire une bêtise ou non. Et franchement oui ! J'étais capable de faire une connerie. Mais je savais qu'il avait besoin de moi, que mes amies avaient besoin de moi. Alors je prenais sur mon sort et maudissais le destin, d'être aussi cruel. Nous imposer un de ces meurtriers sous notre toit. Pouvait-il être aussi sadique ? Qu'avait-on fait pour mériter cela ?

Quand vient l'heure du repas, mon père partit le chercher, devinant que je ne voulais rien avoir à faire avec lui. Quand ils descendirent, je remarquais qu'il avait enlevé son uniforme, pour une tenue plus simple. Ses cheveux en bataille m'interpellaient. Depuis quand les nazis acceptaient-ils un homme avec des cheveux roses ? Pas que ce soit mon problème, mais ça m'intriguait. Puis c'est quoi ces yeux verts onyx, sérieusement ? Il me lança un regard et je lui rendis un noir, qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'il m'impressionnait avec son physique avantageux ? Il se fourvoie en beauté si c'est le cas. Pour moi, il n'est qu'un simple parasite que l'on nous a imposé.

Tendu, je servais le repas dans un silence religieux. Sentant ma froideur et la tension environnante, je le vis se dandiner sur sa chaise. Quoi ? Il n'allait pas me dire qu'il était mal à l'aise ce sans-cœur ? Souhaitant détendre l'atmosphère ou plutôt espérant me calmer, mon père m'apprit qu'il avait trois ans de plus que moi et que, par conséquent je devrais me montrer courtoise. À la bonne heure, ça me faisait une belle jambe qui soit plus vieux que moi. Et courtoise ? Il rêve, hors de question, que je lui adresse la parole, il peut toujours crever. À mon avis, il ne vaut pas mieux qu'un tas d'ordures. Après tout, il est l'un des responsables de la mort de Lisanna. Indirectement, mais il en est un.

Le lendemain, j'attendais d'entendre la porte d'entrée se fermer avant de me lever. Je n'avais aucune envie de le voir. Je patientais alors, attendant le moment où je serais sûr qu'il ne serait plus dans la maison. Quand je fus sûr qu'il n'était plus là, je me levais, me préparant à passer la journée avec les filles. Enfilant mes habits, je descendais me préparer un petit déjeuner. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu'il avait eu la décence de ranger ses affaires. Étonner, je ne pus m'empêcher de sourire. Me disant qu'il n'était peut-être pas aussi bête qu'il en avait l'air et qu'il avait compris, que je ne lui ferais rien.

Je rejoignais les filles dans le centre-ville. L'un des rares endroits ayant été épargné par les bombardements, se trouvant encore dans son état originel. En arrivant, je remarquais que Mirajane avait enfin abandonné son air abattu pour un visage plus jovial, bien que marquer par la fatigue, le manque de nourriture et surtout la perte. Elle avait beau dire qu'elle se sentait mieux, je savais qu'elle ne se remettrait jamais de la mort de sa sœur. Je le savais, car j'étais bien incapable de m'en remettre totalement moi-même. Je n'imaginais pas alors sa douleur. Seule Erza semblait totalement impassible, mais elle était de loin la plus forte de nous toutes. Un roc, avec un cœur tendre, qui se cache. Si l'on ne la connaissait pas, elle pouvait nous apparaître comme sans émotion. Ce qui était totalement faux, en réalité c'était plutôt l'inverse. Elle était juste douée pour les cacher. Puis, il y avait Levy. Notre si frêle petite Levy, je l'admirais un peu plus chaque jour, car elle-même si elle était terrifiée, elle restait forte, quoi qu'il arrive. Il en allait de sa survie, comme elle me disait toujours. Comment allais-je pouvoir leur annoncer que depuis hier soir un officier allemand vivait chez moi ?

Soupirant, je ne sus comment aborder le sujet et me renfermer dans un mutisme qui ne me ressemblait pas. Mais comment leur dire ? Je ne voulais pas les blesser. C'était peut-être bête, mais j'avais peur qu'elles paniquent. Je veux dire, plus jamais on ne se retrouvera chez moi. Comment Levy allait-elle réagir, elle qui venait toujours me voir ? Soudain, dans mon champ de vision, des cheveux roses. Reconnaissant, cette couleur si peu habituelle, je me figeais. Observant cet homme. Lui aussi me fixait de ses prunelles vert sombre. Me sentant déshabillé du regard, sondée, je me sentis rougir de gêne face à cette inspection. Avant de ressentir une puissante colère. De quel droit osait-il me regarder de la sorte ? Un feu brûlant s'empara de moi et je sifflais mon mécontentement, alertant les filles.

- Lucy qu'est-ce qu'il t'arrive ? Me demanda Erza, sentant mon trouble.
- Cet homme... Bordel que c'était dur à dire. Cet homme vit chez moi. Avouais-je désignant le soldat aux cheveux roses.
- Quoi ? S'affola Levy, en panique.
- Il est arrivé hier soir. Mon père et moi, on est obligé de le loger chez nous. On n'a pas eu notre mot à dire, on a juste dû acquiescer et accepter sans rechigner et ça me rend dingue. De quel droit s'introduisit-il chez nous comme bon leur semble ?
- Vois le bon côté des choses. Tu pourras manger à ta faim désormais, si l'un des leurs vit chez toi. Essaya Mirajane, dans le but de me réconforter.
- Mais je m'en fiche de manger à ma faim. Surtout quand je vous vois en train de lutter contre la famine. Quand je pense à tous ces gens qu'on aurait pu encore aider. Crachais-je anéanti, noire de fureur.

Elles me prirent alors dans leurs bras, essayant de me réconforter, de m'apaiser, me disant qu'un jour où l'autre toute cette folie prendrait fin. Mais quand ? Combien de personnes devront encore mourir avant cela ?

Sur le chemin du retour, j'appréhendais le fait de rentrer chez moi. En réalité, je ne me sentais plus chez moi depuis hier soir, l'impression qu'un étranger s'était incrusté étant plus forte que tout. J'avais beau être en colère, le simple fait de le savoir chez moi me mettait dans un état de stress et peur permanente aussi. D'autant plus que la nouvelle semblait avoir anéanti Levy, plus que je ne le pensais. C'est comme si je l'avais trahi malgré moi qu'elle avait perdu l'un de ses nombreux refuges. Alors quand je le vis assis à une chaise dans le salon, je ne lui accordais même pas un regard, montant m'enfermer dans ma chambre. Père m'avait demandé d'être courtoise avec lui, mais hors de question que j'apprenne à connaître cet homme. Je n'avais aucune envie de faire la connaissance d'un meurtrier.

Les jours, les semaines, les mois passaient et rien ne changeait. À vrai dire, la guerre était toujours présente et se faisait de plus en plus forte dans le Nord. Les rafles de juifs devenaient de plus en plus régulières et on avait peur un peu plus chaque jour pour Levy. Tôt ou tard, notre ville serait touchée, je le savais. Je vivais dans l'angoisse permanente, dans l'attente d'un nouveau coup du sort. Dans la peur continuelle du lendemain. Et dans ce paysage sombre, il y avait cet homme aux cheveux roses. Il vivait toujours chez nous et jamais je ne lui adressais une seule fois la parole. On se croisait tels les étrangers que l'on était. Aucun de nous n'essayant de faire le premier pas. Pas que j'en ressentais le besoin, ça non, mais ça m'étonnait que lui ne l'ait pas tenté. En réalité, j'étais assez surprise et impressionnée, par son comportement.

Il comprenait parfaitement que l'on ne souhaitait rien avoir à faire avec lui et même si parfois il parlait avec mon père, pour des broutilles, jamais il n'engageait de véritable conversation. De même, jamais, il s'imposait. À vrai dire, si je ne le croisais pas, je ne saurais pas qu'il vit chez moi. Toujours à faire sa vaisselle, à s'occuper de son linge, à mon plus grand étonnement. Moi qui pensais qu'il me prendrait pour sa bonniche. J'étais agréablement surprise. Mais ce n'était pas pour autant que je l'appréciais, il restait un monstre sans foi, ni loi.

Je faisais alors semblant. Ignorant sa présence, me persuadant qu'il n'était pas là. Et le pire, c'est que j'y arrivais presque, tellement il était effacé. À vrai dire, ça m'intriguait. J'avais la sensation qu'il nous cachait quelque chose et ça me mettait hors de moi. Plus que de la colère, c'était de la peur. J'avais peur de ce qu'il pouvait nous amener. Je me mis alors, sans m'en rendre vraiment compte, à plus l'observer. Quêtant ses moindres faits et gestes, espérant en apprendre un peu plus, pas sur lui, mais sur ce qu'il pouvait savoir. Il était tellement mystérieux. C'en était troublant et malheureusement pour lui, pas dans le bon sens du terme. Enfaîte, plus le temps passé et plus son air las, invisible, me faisait froid dans le dos. J'avais l'impression d'héberger un mort vivant. Même son regard arrivait à en être vide d'expression.

Alors qu'aujourd'hui, en ce mois de décembre, je me retrouvais par mégarde avec lui dans la cuisine, je fis, ce que j'avais toujours fait l'ignorer. Me préparant un thé, j'essayais de mettre le plus de distance possible entre lui et moi, évitant soigneusement de le regarder. Quand je dis que j'essaie de me persuader qu'il n'est pas là ! Sauf qu'aujourd'hui, il y avait quelque chose d'étrange. D'habitude, lui aussi se contente de m'ignorer, comprenant que je ne pouvais le voir en peinture, et ce depuis le premier jour. Mais là, je sentais son regard sur moi. Incessant, je prenais sur moi pour ne pas craquer et me retrouver à affronter ses pupilles onyx. Pourtant n'en pouvant plus d'être observé à la loupe, je finis par me retourner, verte de rage. Qu'avait-il à me regarder de la sorte ?

Soudain, je fus happé par ses yeux et je remarquais pour la première fois, depuis des mois à quel point ils étaient profonds. Devrais-je dire même beau. Mais plus que leur couleur originale, ce fut cette lueur de douleur omniprésente qui me transperça. Moi qui croyais que c'était un insensible. Puis, comment une telle lueur pouvait se retrouver dans son regard ? N'était-il pas censé être un sans cœur, incapable de ressentir ce genre d'émotion. Perturber, je ne savais pas quoi en penser et reculais précipitamment. Craignant ce que je ressentais. Son regard brûlant refusant de me lâcher. Je retiens ma respiration en le voyant ouvrir la bouche. Par pitié, non tais-toi, je refuse de t'entendre. Fermant les yeux, je voulais me soustraire à ce qu'il allait me dire. Mais ce qu'il m'avouait dépasser de loin, toute mon imagination.

- Le vingt, une rafle de juif aura lieu dans le centre-ville... Je... Si j'étais toi, je dirais à ton amie de ne pas sortir de chez elle. Me conseillait-il, sa voix légère et grave à la fois, me parvenant pour la première fois, directement.

Éberlue, je lâchais ma tasse, qui se brisa en mille morceaux sur le carrelage. Hébété, perdu, apeuré, je le fixais, espérant y voir en lui une blague de mauvais goût. L'espoir infime qu'il se moquait de moi, mais je n'y vis qu'un éclat de sincérité monstre et une autre lueur plus troublante encore... Un espoir fou. Ne cherchant pas à comprendre, le pourquoi du comment. Ne souhaitant pas savoir pour quelle raison il m'en parlait, si je devais lui donner quelque chose en échange plus tard. Je saisis mon manteau, me précipitant dehors. Courant à en perdre haleine. Je ne pensais qu'à une chose, sa survie, à sa possibilité de fuir, de se cacher. Le vingt, c'était dans deux jours.

Fruit de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant