6. Tuer un lapin avec une cuillère

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"Salut, papa."

Je pousse la porte et je plisse instantanément les yeux : la pièce est plongée dans le noir, le visage de mon père dépasse à peine de la pile de dossiers tout juste éclairés par la lumière de son NEW P-0tt posé en mode bureautique. Il se réveille en sursaut : me regarde, étonné de me voir et regarde sa pendule à aiguille puis me regarde à nouveau.

"Qu'est-ce que tu fiches dehors à cette heure ?" grogna-t-il avec sa voix des mauvais jours, roque de ne pas avoir parlé pendant trop longtemps. "Y'a rien de grave j'espère ? Tout va bien ? Est-ce que tu es blessée quelque part ?"

Je soupire... évidement, j'aurai dû m'en douter.

"Il est midi, papa, pas minuit. Tout va bien."

"Ah, ça explique peut-être pourquoi le téléphone n'arrêtait pas de sonner..." marmone-t-il en passant ses mains sur son visage. "Ça m'agaçait, ce bruit alors j'ai arraché les câbles : j'espère que les gars de la réparation ne vont pas se bouger trop vite... Ils vont finir par se douter de quelque chose, c'est la troisième fois que je fais ça cette semaine."

Il ferme l'écran de son ordinateur en le repliant, ça passe en mode tablette puis en mode téléphone et il glisse le petit appareil hybride dans sa poche. Ses yeux se posent sur les pizzas et il fronce les sourcils, perplexe.

"Est-ce que j'ai manqué un épisode ? On n'a planifié aucun déjeuner... si ?"

Il n'a pas l'air sûr de lui et je renifle méchamment : il m'a planté tellement souvent qu'il ne peut pas se rappeler de quoi il est coupable, cette fois-ci.

"Ça te parle la conférence que t'étais censé diriger, hier, au lycée ?"

"Ah mais c'est dans trois jours ça." affirme-t-il.

Mes yeux se sont habitués à l'obscurité alors je peux voir les bouteilles qu'il aligne le long du mur quand ça va vraiment pas... je vous dis pas ce qu'il y a dedans, c'est dégueux. À vue de nez, je dirais qu'il n'a pas quitté son bureau depuis cinq jours, minium. Bordel de merde : un jour, j'vais trouver son cadavre et personne l'aura remarqué parce qu'il est trop insupportable pour qu'on se soucis de sa carcasse.

"Oh papa..." je soupire. "C'est pas moi qui suis censé être l'adulte, tu sais ?"

"J'ai manqué la conférence ?"

Je le regarde fixement, j'essaye de pas chialer... j'ai l'air de le fusiller des yeux, du coup mais ça tombe bien : je le hais ! Pourquoi est-ce qu'il est comme ça ?

"Oh merde, Ashley, je... Je suis désolé, sincèrement. On a rescencé un nouveau cas d'altération explosive chez un gamin dangereux, il est en liberté et... et... peut-être dans ton école, il a ton âge et je bosse sur... sur... Merde. Tu dois être furieuse contre moi... ça va ?"

"Toute l'école me déteste, j'ai fais un exposé de merde pour rien mais à part ça, j'y croyais vraiment pas alors... Tout va bien, je sais que t'es pas fiable."

Il agrippe sa cravate, il fait toujours ça quand il est ému... c'est pas comme s'il allait exprimer des émotions sur son visage comme les gens normaux, nooon, bien sûr : il est extrêmement complexe, faut un manuel pour le comprendre. Ou bien être sa fille unique... j'aurai préféré être un manuel, honnêtement.

Yellow FoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant