Chap.24 : Les S.R

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Une demi-heure et deux tasses de thé plus tard, ma grand-mère et moi étions scotchées devant la télé. Elle, le dos bien droit, calé contre le dossier de son fauteuil de velours rouge, les mains croisées sur les genoux. Et moi, allongée de tout mon long sur le canapé en cuir, grignotant des calissons que Rico nous avait apportés avant de descendre dans le jardin, pour s'occuper des rosiers de Gisèle.

Est-ce que j'étais venue à Marseille pour regarder la télé en m'empiffrant ? Sûrement pas. Je voulais partager mes angoisses et mes attentes avec Gisèle. Elle avait toujours été de bon conseil pour moi, comme quand, vers 15 ans, j'avais failli quitter le lycée pour me consacrer au dessin. C'était grâce à elle que je m'étais orientée vers des études d'architecture. Au grand soulagement de mes parents

Mais, là, à la voir si frèle, si âgée, si marquée par la vie, j'avais renoncé à lui parler de moi.  Et puis j'avais aussi envie de passer à autre chose, de trouver le bonheur, la paix intérieure, l'amour. ma grand-mère avait dû sentir que je n'avais pas envie de parler puisqu'au lieu de continuer à me poser des questions sur ma vie, elle m'avait proposé de suivre avec elle le dernier épisode de sa série préférée, Downton Abbey.

Alors que Matthew Crawley arrivait au château et que John Bates subissait les railleries de Thomas et d'O'Brien, je reçus un texto de Lala m'annonçant une bonne nouvelle : elle s'ennuyait à Paris et venait tout juste de s'acheter un billet de train pour Marseille. " A nous les mecs ! " ajoutait-elle " Je viens de larguer Vincent, j'ai besoin de changement". Vincent... encore un qui n'avait pas été à la hauteur. Lala avait le don pour trouver des mecs minables. On les appelait les S.R, traduisez les "Sales Races". Une engeance détestable caractérisée par la peur de l'engagement, le silence radio et la goujaterie. Vincent, indéniablement, en faisait partie. 

A la nouvelle de la venue de Lala, je me mis à battre des pieds et des mains, sans faire le moins du monde attention à Gisèle qui dû mettre l'épisode sur pause, avant de me jeter un regard outré.

-Peux-tu me dire ce qu'il se passe jeune fille ?

- Ma copine Lala, tu sais, ma meilleure amie, que je connais depuis la fac. Eh bien, elle voudrait venir à Marseille...En fait, elle a déjà pris ses billets...Dis, elle peut dormir ici ? Tu vas l'adorer, je te promets !

- C'est oui, bien sûr, si ça nous permet de voir la fin de l'épisode en paix.

Elle appuya sur "play" et replongea dans son feuilleton. Je n'avais plus la tête à regarder la télé, trop excitée par cet été qui commençait vraiment à devenir interessant. Je fourrai un calisson dans ma bouche et pensait à la venue de Lala et à l'invitation de Jonathan, les yeux rivés sur le poste de télévision où les domestiques de Downton Abbey s'acquittaient de leurs tâches sans jamais faiblir. 

J.F cherche bonheur, désespérémentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant