Chap. 35 : Le dîner

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Quand je descendis pour le dîner, j'étais une autre personne. Les quelques minutes que j'avais passées seule dans ma chambre, après le passage de Rico, avaient été salutaires : je ne supportais plus d'être la jeune fille éplorée qui courait après l'amour et en particulier derrière Jonathan Rivière. Je ne voulais plus non plus que l'on me voie comme ça. Même si je faisais peu de cas de cet idiot de Rico, j'avais cru lire de la déception dans son regard face à mes humeurs adolescentes. Et en un instant, je pris donc la décision de ne plus chercher le bonheur dans mes relations avec les hommes.

Le bonheur, il fallait que je le trouve ailleurs.

 J'avais tellement été déçue par mes histoires d'amour. Aucune n'arrivait à la cheville de ce que j'attendais. Pourtant, je voulais juste un mec et que j'aime et qui m'aime... qui m'aime et me comprend.  Il en a fait du mal, Verlaine.

Pour commencer ma nouvelle vie de femme indépendante-qui-n'a-besoin-de-personne-et-surtout-pas-des-hommes, j'allais profiter de ce repas, qui s'annonçait excellent, en compagnie de ma grand-mère, de Lala et de Rico. Au menu, Gisèle nous avait promis les meilleurs délices du Sud. Des toasts tartinés de tapenade d'olives vertes et noires puis une bouillabaisse, suivie d'un gigot d'agneau servi avec des courgettes farcies et en dessert, un tiramisu pour célébrer les origines italiennes de ma grand-mère. Elle n'avait pas préparé elle-même le repas, à son âge, ça aurait été compliqué, et je fis rapidement la connaissance de celui qui nous régalait ce soir-là.

Alors que nous étions en grande discussion avec Rico et Lala pour savoir si oui ou non Sybil était mythomane ou simplement mal intentionnée, Gisèle entra avec grâce dans le salon, dans un léger bruit de froufrous, distillant sur son passage des notes de musc, de fleurs blanches et de vanille. Elle était habillée d'une longue robe à volants noirs et d'un bolero rouge en soie sauvage. Pour son âge, elle avait du chien.

Rico siffla, pour signifier son admiration, tandis que Lala battit des mains avec enthousiasme. Je me contentais de sourire, attendant surtout que ma grand-mère nous présente l'homme qui la suivait.

Il portait une sorte de blouse blanche et une toque, et arborait un air satisfait et une bedaine impressionnante : nul doute que c'était le chef qui avait préparé le repas que nous mourions d'impatience de goûter. 

- Je vous présente mon excellent et talentueux ami, Blaise, qui vient de cuisiner un festin pour nous. Rico, vous le connaissez bien sûr...

Je tournai la tête vers Rico, qui daigna esquisser un sourire à l'adresse du chef.

- Bon, et si nous passions à table, ça va refroidir... Blaise, merci, vraiment, comme d'habitude ça à l'air sensationnel, dit Gisèle en raccompagnant le chef vers la cuisine. 

Je suppose qu'il devait maintenant faire la vaisselle, ranger soigneusement ses ustensiles et s'éclipser en toute discrétion. Quant à nous, nous nous mîmes à table et, comme j'en avais pris la résolution, je cherchais dans chaque bouchée, dans chaque saveur, un échantillon de bonheur.

La tapenade ne me fit pas vraiment d'effet, mais, après quelques verres d'un vin rouge bien charpenté, je me mis à savourer avec extase le gigot d'agneau, les fromages et enfin, lêchait presque le mascarpone à même ma verrine de tiramisu.

Le ventre plein et tendu, la tête me tournant un peu, je rigolais aux éclats aux blagues de Rico et de Gisèle. Leur étrange complicité faisait plaisir à voir. Lala, fidèle à son tempérament joyeux, se tenait les côtes et m'adressait de grands sourires, visiblement soulagée que je ne lui tienne pas rigueur de son attitude avec Jonathan.

Jonathan...J'avais réussi à l'oublier quelques heures.

Rico me jeta un regard par dessus les chocolats et friandises qui venaient clore le dîner. Il avait l'air tellement plus à l'aise que le jour où je l'avais rencontré, et même, je dirais, plus interessant. Je n'aurais jamais deviné qu'il était passionné d'histoire anglaise et que son rêve était d'aller passer une journée à la National Gallery de Londres. Un drôle de personnage.

Après un dernier verre de Limoncello, nous sommes tous montés dans nos chambres, un peu ivres et bien repus. Je m'étalai de tout mon long sur mon lit et m'endormis au bout de quelques minutes, non sans avoir entendu mon téléphone vibrer. Un texto, sûrement.

J.F cherche bonheur, désespérémentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant