La Malédiction

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Ambrosius avait passé les dernières heures à réparer la Nef. Débris de bois et d'orichalque s'éparpillaient çà et là sur le sol du pont, la barre était cassée, tout son système qui lui permettait de diriger le bateau volant était à présent hors service. L'étage inférieur, à son grand soulagement, ne comptait qu'un grand bazar, des livres éparpillés, des fioles brisées, et des tâches d'encre un peu partout. Il aurait pu charger Gaspard du rangement, mais il n'avait pas grande confiance en lui, et de plus, il n'avait aucune envie de retrouver d'autre fioles brisées et des pages de livres déchirées, il savait bien que l'homme était balourd et maladroit.

Il n'ignorait pas non plus que l'unique raison pour laquelle l'Espagnol lui avait demandé de l'engager tenait en un nom : Isabella. Il ne savait d'ailleurs pas pourquoi il avait accepté de le prendre à son service. Sûrement parce qu'il avait clamé haut et fort sa haine pour Mendoza, chose qu'Ambrosius avait eu l'occasion de vérifier : le marin détestait bel et bien ce chien. À cause de vieilles rivalités, sans doute... cependant, l'Alchimiste avait remarqué que Gaspard semblait détester Mendoza plus encore depuis qu'il avait compris qu'il connaissait Isabella. Ambrosius aussi, se faisait du souci. Il avait bien remarqué à quel point Mendoza semblait tenir à sa nièce, tout comme il avait parfaitement compris que la jeune femme n'était pas indifférente à cet homme non plus. Surtout depuis ce jour, quelques instants avant d'arriver à Kûmlar, lorsque Gaspard avait été sur le point de tuer Mendoza. Ambrosius avait senti tout le désespoir dans la voix de la fille de Fernando, lorsqu'elle avait hurlé à Gaspard de ne pas le tuer. Bien sûr, tout de suite après, elle avait donné des arguments qui auraient pu être convaincants si Ambrosius ne la connaissait pas si bien. Si elle n'avait pas bafouillé. Si elle avait affiché cet air sûr d'elle qu'elle arborait en  permanence. Mais elle ne l'avait pas fait.

Et tellement d'autres choses trahissaient Isabella... Il se demandait si il n'avait pas fait une erreur de taille en la confiant aux mains expertes de Zia. Il n'avait aucun doute sur le fait que cette gamine arriverait à soigner sa nièce bien mieux qu'il ne l'aurait fait. Car il avait beau détester cette sorcière, il savait reconnaitre les talents d'autrui lorsque talent il y avait. Il savait aussi qu'elle serait bien plus apte à le faire que lui.
Mais il craignait que sa nièce craque. Qu'elle se confie à cette maudite mioche ou à Mendoza. Voir que Tao comprenne ce qu'elle cache ! Ou tout simplement qu'elle décide de le trahir. Elle en serait capable, après tout... Elle avait été si proche de le faire la dernière fois...

Ambrosius frappa le sol de son poing, chose qu'il regretta fortement ensuite. Il n'avait pas son exosquelette, après tout, et sa force n'était rien sans cette prodigieuse invention.
Il se rappelait encore de ces longs mois passés à fabriquer ce petit bijou, alors qu'il faisait toujours partie de l'Ordre du Sablier. Officiellement, du moins. Car secrètement, Ambrosius travaillait déjà pour lui et lui seul depuis plusieurs mois, si ce n'est une année...

"Messire Ambrosius ! Quand repartons nous ? demanda Gaspard en s'avançant vers lui.

-Je n'en sais rien, Gaspard, ce sont des réparations importantes que j'ai à faire, et cela me faciliterait bien la tâche si vous ne veniez pas m'importuner ! grinça le petit homme roux.

-Je me demande comment va la Señorita... et comment ferons-nous pour la récupérer ? Ces chiens sont capables de l'embobiner... et surtout ce maudit Mendoza. bougonna le matelot.

-Nous nous débrouillerons. assura Ambrosius, occupé à réparer une manette. Maintenant laissez-moi voulez vous. Cette manette est délicate à restaurer."

En réalité, Ambrosius avait simplement besoin de s'absorber dans sa tâche pour ne plus penser.
Ne plus penser à ses inquiétudes au sujet d'Isabella, ne plus penser que ce maudit équipage arrivait encore et toujours à le rattraper, ne plus penser au seul enfant à qui il ai daigné porter une attention sincère après Isabella : Tao.
Ne plus penser à tout ce qui le rongeait bien malgré lui. Ambrosius avait conscience que ceux qui le connaissaient disaient qu'il avait basculé dans la folie... Mais il préférait ses envies de domination et de pouvoir à ce passé sombre et brillant à la fois, à cet avenir radieux qu'il aurait pu avoir si seulement...
Il donna un nouveau coup sur le plancher.

Rana'Ori pouvait bien lui lancer une malédiction si ça lui chantait. Il avait déjà eu à faire à un malheur bien plus grand que cela, un malheur qui était responsable de ce qu'il était à présent. Mais il s'en moquait, il trouverait bien le moyen de la ramener...

Les Mystérieuses Cités D'Or-Le Secret Des HéritagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant