Malheur, Ambrosius, Malheur...

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Voilà une heure que la Nef se dirigeait vers Bangui, capitale du Centre-Afrique. Ambrosius, qui avait passé sa matinée à consigner ses nouvelles découvertes dans un carnet qu'il tenait depuis maintenant bien longtemps, était de fort bonne humeur. Il se rapprochait de la cité d'or à grands pas, et Mendoza, les enfants, et leurs deux marins n'avaient pour l'instant pas donné signe de vie. Peut être étaient ils réellement morts, tout compte fait.

Ambrosius n'en avait que faire. Ces misérables insectes ne représentaient qu'un obstacle négligeable pour lui, homme surpuissant en voie de devenir le maître du monde. Qu'ils soient vivants ou morts lui importait peu.
Seulement, il aurait bien aimé voir ces chiens mourir, là était son seul regret. Le visage d'un jeune garçon à la peau mate et à la coiffure singulière apparut dans son esprit.

Tao.

Avait-il souffert ? Était-il mort ?

Ambrosius ressentit un petit pincement au coeur en pensant au jeune Mueen. À ses yeux, le garçon était le seul qui aurait mérité de vivre. Si vif, si créatif, si impulsif, si intelligent... Mais aussi si stupide. Pourquoi s'obstiner à suivre ce maudit Esteban, et Zia, cette maudite sorcière ? Ambrosius sentit la rage monter en lui et envoya une fiole remplie d'un liquide transparent valser par terre. Le petit récipient se brisa sur le sol avec un bruit aïgu mais l'Alchimiste n'en avait que faire pour le moment. En serrant les dents, il fixait la page blanche à demi noircie par son écriture vive.
Il ne fallait pas qu'il se laisse envahir par les sentiments, c'était inutile. À quoi bon aimer alors que la vie finissait toujours par vous prendre les êtres qui vous sont les plus chers ? À quoi bon s'encombrer de sentiments futiles ?

Ambrosius revit Athanaos déclarer que les sentiments étaient ce qui faisait d'eux des humains et non de vulgaires objets animés.

"Foutaises..." marmonna t-il.

Il reprit sa plume et la trempa dans l'encrier lorsqu'une voix emplit son esprit.

Malheur à celui qui ouvrit ma sépulture... Malheur sur toi, Savant !

L'Alchimiste sursauta. Qui avait parlé ? Ce ne pouvait être que Laguerra, car c'était une voix feminine, or sa nièce était actuellement aux commandes de la Nef sur le pont.

Malheur, Ambrosius, Malheur !

Qu'était-ce donc ? Ambrosius ne croyait pas aux spectres.
Furibond, il se leva et gravit les escaliers qui le conduisait à l'air libre.

"Laguerra !" cria t-il.

Il vit très clairement la bretteuse sursauter violemment, les mains sur la barre. Ça ne pouvait pas être elle.

"Que se passe t-il ? demanda t-elle simplement.

-Pourquoi m'as-tu appelé ?" dit-il simplement. Il ne pouvait tout de même pas repartir après avoir crié de la sorte, cela semblerait louche.

"Je ne vous ai pas appelé." dit seulement l'Espagnole, un air sincèrement étonné sur le visage.

Ambrosius vit qu'elle disait vrai.

"J'ai donc dû rêver,  gromella t'il. Laisse moi donc prendre la barre, tu en as assez fait."

Isabella lui céda la place sans sourciller. Ambrosius la vit grimper tout en haut de la voile gonflée de la Nef, comme elle l'avait toujours fait. Assise au sommet, elle laissait son regard perdu au loin, pensive. Elle semblait préoccupée.

"Que caches tu donc, traîtresse..." murmura t-il entre ses dents.
Car son impression ne s'était pas dissipée.
Ambrosius avait entendu Laguerra pleurer la nuit d'avant, or, pleurer n'était point dans les habitudes de la jeune femme.

En fronçant les sourcils, il reporta son attention sur le ciel d'un bleu pur.
Dans quelques heures, ils arriveraient à Bangui.
Dans quelques heures, une nouvelle étape vers le Grand Héritage serait franchit.

Ambrosius sourit d'un air mauvais.
Le maître du monde. Il allait être le maître du monde.

Malheur, toi qui ouvris ma sépulture...

Ambrosius sursauta violemment. Encore cette voix !
Mais d'où venait-elle donc ?
Il pâlit d'un seul coup. Il savait exactement d'où elle venait. La première fois qu'il l'avait entendue, il était dans la cité de Kûmlar, à ouvrir la sépulture de la princesse Rana'Ori à l'aide de ses soleils noirs.

L'Alchimiste était figé sur place. La malédiction de Rana'Ori. De terribles images plus terribles les unes que les autres défilèrent dans son esprit, le pétrifiant un peu plus à chaque fois.
Que se passait-il ?

Un vent frais le ramena à la réalité. Il fronça les sourcils en remarquand que le ciel, si bleu il y a quelques instants semblait à présent s'assombrir à vue d'oeil. Comment était-ce possible ?
Le vent s'intensifia encore et la Nef oscilla de gauche à droite, de droite à gauche. Ambrosius essayeait de tourner la barre mais celle ci semblait bloquée, impossible pour le Français de reprendre le contrôle sur son invention.

Malheur...

Ambrosius tenta de réequilibrer la Nef, sans succès. Elle continuait de tanguer, encore et encore. Que se passait-il donc ?

Malheur...

La malédiction de Rana-Ori ? Non, bien sûr que non, c'était ridicule. Ce genre de choses n'existait pas. Alors pourquoi la barre semblait comme bloquée, insensible aux manoeuvres qu'il tentait d'effectuer ? Pourquoi le ciel était-il à présent noir d'encre ?

Malheur...

Un éclair fendit le ciel avec fracas et s'abattit sur la voile de la Nef. Isabella poussa un cri perçant et Ambrosius, sentant son sang se glacer dans ses veines, ne vit ni la jeune femme perdre connaissance, gravement blessée ni Gaspard inconscient.
Il essayeait de toute ses forces de redresser la Nef qui avait perdu de altitude et qui, en cet instant, se dirigeait toujours plus bas, toujours plus près d'une mort certaine.

Malheur à toi, Ambrosius... Malheur  ..

Les Mystérieuses Cités D'Or-Le Secret Des HéritagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant