Les Interrogations d'Isabella

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Le soleil se couchait lentement et les étoiles apparaissaient une à une dans le ciel, enchantant Isabella. Les astres la fascinaient depuis toute petite et elle se rappelait les moments passés avec Athanaos à observer les étoiles, tantôt sur une couverture au grand air, tantôt au kadiléscope. Son père avait réussi à lui enseigner l'art de se repérer grâce à cette multitude de  points lumineux, et cette science ne l'avait jamais quittée depuis.

Un sourire presque enfantin naquit sur les lèvres de la fille du Docteur tandis qu'elle se remémorait son enfance passée sur les routes et les mers en compagnie des trois hommes qui avaient jadis représenté ses piliers dans l'enfance tumultueuse qu'elle avait eue.

Les voyages et les escapades, la panique de son père et de ses oncles lorsqu'elle s'éloignait du camp pour aller observer les alentours, les longues nuits passées sur les mers à écouter le bruit des vagues et à rire en douce de la mine verdâtre d'Ambrosius chaque fois qu'ils mettaient le pied sur un bateau. 

Isabella avait grandi en plein air et se rappelait avoir adoré ces moments de pure liberté. Ses oncles et son père l'avait instruite plus que ne l'aurait fait n'importe quel précepteur et lui avaient épargné tout ces cours de manières que lui aurait enseigné une gouvernante et auxquels Isabella avait eu le droit une fois cloîtrée à la cour d'Espagne. Quel horreur cela avait été pour l'adolescente rebelle et au caractère volcanique et impulsif !

Volcanique et impulsif, certes, mais aussi fragile. Elle avait été profondément affectée de ne plus revoir Ambrosius et Athanaos reparti sillonner le monde pour l'un et resté aux Amériques avec sa compagne pour l'autre. Son père, affecté à la Cour d'Espagne, avait d'abord été contraint de la laisser aux mains d'une gouvernante, et Isabella n'avait vu son père que très peu souvent dès lors, car le Docteur était devenu l'espion le plus important de la Cour. Mais voyant que sa fille ne supportait pas cette nouvelle éducation, il avait obtenu du Roi qu'elle suive une formation pour qu'elle devienne espionne, à l'instar de son père. 

La belle Espagnole avait alors étonné tout le monde en démontrant toutes les facilités qu'elle avait dans ce qui deviendrait son métier. 

Le sourire sur le visage de la jeune femme s'élargit. Perdue dans ses souvenirs, elle n'avait pas entendu le petit homme à la barbe rousse approcher par derrière. Lui aussi, en la voyant sourire ainsi en regardant le ciel s'était remémoré les années passées. 

"Je vois que tu observes toujours les étoiles. dit-il simplement, la faisant sursauter. 

-J'ai bien peur que ce soit devenu une habitude pour moi. répondit doucement la bretteuse. Son oncle pouvait basculer dans des colères noires parfois, et il avait sombré dans la folie, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir encore parfois un attachement pour lui. 

"Certaines choses au moins ne changent pas."

Isabella sut qu'il y avait là un sous-entendu mais ne parvint pas à saisir lequel. Ambrosius tourna les talons, laissant la jeune femme la tête pleine d'interrogations, sourcils froncés. Il la soupçonnait de quelque chose, c'était évident. 

Isabella poussa un profond soupir. Durant quelque minutes elle avait réussi à oublier les évènements de Kûmlar, poids indescriptible sur ses épaules mais la vie étant peu clémente avec elle, il était revenu, cent fois plus lourd que l'après midi passé. 

Sourcils froncés, le regard au loin, elle se ressassait sans cesse ses duels avec Mendoza, les prouesses de la petite Zia, la moue boudeuse et le regard soupçonneux de Tao et le regard d'Esteban qui lui rappelait tellement Athanaos.

Une nouvelle larme descendit le long de sa joue. 

Que ferait-elle, une fois la septième cité d'or trouvée ? Retournerait-elle en Espagne ? A Patala ? 

Elle n'en savait rien. Naïvement elle avait cru qu'elle pourrait suivre son marin et les enfants, sans jamais envisager une seule seconde la possibilité d'une telle tragédie. 

Et pourtant... 

Une chanson sifflée bruyamment la sortit des ses pensées mélancoliques, puis une voix grave qu'Isabella aurait aimé ne plus jamais entendre arriva à ses oreilles :

"La nuit est belle, n'est-ce pas, Señorita ?"

Elle soupira avec mépris sans prendre la peine de tourner la tête. Elle n'avait jamais supporté les manières plus que lourdes du capitaine, et ce soir particulièrement, elle était à fleur de peau. Il suffisait qu'il l'énerve un peu trop pour qu'elle dérape, elle le savait. 

"Vous n'êtes pas d'humeur bavarde, ce soir, je me trompe ? continua t-il. 

-Je vous en prie Gaspard, taisez vous. lâcha l'Espagnole. 

-Il est vrai qu'une si belle nuit étoilée s'apprécie mieux dans le silence, mais surtout, en bonne compagnie, n'ai-je pas raison, Isabella ? répondit le marin. 

-Pour la dernière fois Gaspard, taisez vous !" dit Isabella, un ton plus haut en faisant claquer son fouet contre le sol.

L'homme afficha alors une mine si penaude qu'en d'autres circonstances, elle aurait ébauché un rictus moqueur. Mais ce soir, elle se contenta de soupirer une nouvelle fois avant de partir de l'autre côté du pont. 

Devait-elle mettre une terme à sa mission auprès d'Ambrosius ? Il lui suffirait alors de demander à Rico de faire libérer sa mère, chose qu'elle s'était toujours refusé de faire, préférant obtenir sa liberté avec Honneur, tel qu'elle l'avait promis à son père. 

Or respecter les promesses faites au Docteur Laguerra était quelque chose qu'elle s'était toujours obligée à faire. 

Honorer la mémoire de celui qui l'éleva avec amour malgré les recherches et les voyages était important pour elle. Non. 

Capital.

Les Mystérieuses Cités D'Or-Le Secret Des HéritagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant