Le Geek Ultime (1. Genesis)

Tokyo - 1

      Nous survolons la baie de Tokyo pour amorcer notre atterrissage à l'aéroport Haneda situé au sud de la capitale japonaise. J'observe par le hublot les lumières de la ville de tous mes fantasmes. Je n'ai jamais vu une telle concentration d'habitations au mètre carré. Pour palier au manque de place au sol, les tokyoïtes ont installé des terrains de sport sur les toits des immeubles et ont inventé des capsules pour dormir, à peine plus grandes que des cabines de douche. J'ai lu que un quart des japonais vit dans cette mégapole, ce qui revient à mettre toute la population polonaise dans le département de la Marne. Il faut aimer la promiscuité.

Je suis un grand consommateur de manga, comme tout geek qui se respecte, et me voici enfin dans la mère patrie de cet art. J'espère que Sophie me laissera le temps de jouer au touriste. J'aimerais tellement voir le quartier électronique d'Akihabara mais aussi les temples shintoïstes et bouddhistes. Le Japon mixe avec harmonie la modernité et la tradition. C'est ce qui fait son charme si particulier.

Quand on est un passionné comme moi, il y a des incontournables à voir. Il va falloir que je convainque Sophie d'aller à la boutique Mandrake à Nanako, de jouer au pachinko à Shinjuku et de me laisser faire du cosplay à la gare d'Arajuku. Je ne me fais pas d'illusion sur la forme négative de sa réponse. Par contre, on n'a pas vraiment d'indice sur la localisation de la cité de connaissance japonaise. Elle va devoir me laisser du temps libre pour chercher où la situer. Prétextant des investigations dans la ville, j'en profiterais pour m'éclipser à la découverte des différents quartiers sur la célèbre ligne de train Yamanote.

Je vais également pouvoir tester mon niveau de japonais. Comme je l'avais expliqué à Sophie, quand je discute avec Takeshi, j'utilise le français et lui le japonais et quand la situation est bloquée nous avons recours à l'anglais. J'aimerais éprouver ma façon de parler la langue du Pays du soleil levant. Je l'ai appris comme tout geek qui se respecte. Quand j'étais plus jeune, c'était nécessaire pour pouvoir jouer aux jeux vidéo qui ne sortaient pas dans l'hexagone. C'est avec un dictionnaire que j'ai fini le premier Suikoden sur Playstation. Il est ensuite sorti en version anglais à travers l'Europe, ce qui m'a permis de le refaire et cette fois d'approfondir la langue de Shakespeare. Qui a dit que les geeks étaient des faignants ? Ensuite, j'ai regardé beaucoup d'animés japonais en version original, ce qui m'a, cette fois, aidé à parfaire les tonalités de l'oral. D'ailleurs, je ne regarde jamais ces séries quand elles sont doublées dans la langue de Molière. Le phrasé du pays du soleil levant a un rythme inimitable et impossible à retranscrire en français. Je me demande vraiment si j'arriverais à me faire comprendre.

Mais ce que j'attends avec le plus d'impatience, c'est de dormir dans un vrai lit. Ça fait deux nuits que je somnole dans cet avion et avec le jetlag, je suis crevé. Sophie a du réservé un hôtel à la hauteur de ses moyens. Du moins, je l'espère.

Indy, toujours fidèle à lui-même, ne montre aucune émotion particulière. Il a le nez dans les consignes de sécurité en cas d'atterrissage d'urgence et ne semble pas s'intéresser au paysage étonnant qu'offre Tokyo by Night. Cet homme reste une énigme. A-t'on bien fait d'accepter qu'il nous suive ? Je ne saurais dire son âge, mais on a plus de chance qu'il nous claque dans les doigts plutôt qu'il nous soit d'une aide précieuse. Si ça tourne mal nous devrons nous séparer de lui.

Perdu dans mes réflexions, je n'ai même pas réalisé que nous nous étions posé. Je vais enfin pouvoir respirer autre chose que de l'air pressurisé.

- On a un comité d'accueil, remarque Sophie.

Cinq berlines noires aux vitres teintées qui nous attendent sur le tarmac. Ça ne peut être que lui.

- Takeshi.

- Comment ça Takeshi ? Le crétin que vous avez appelé quand on a failli mourir dans la grotte à Albuquerque ?