Le Geek Ultime (1. Genesis)

Paris - 5

      La musique de la sonnette résonne comme le gong de fin de round des matchs de boxe. La confrontation est terminée. Elle me regarde avec les larmes au bord des yeux et je me dégoûte un peu. Je ne sais pas si je dois me déclarer vainqueur de cet échange virulent. Je ne voulais pas être aussi méchant avec elle, ce n'est pas dans ma nature. Elle m'a poussé dans mes retranchements, mais je suis conscient que c'est une fausse excuse. Je ne suis pas souvent en contact avec la gente féminine, je ne connais pas les codes de bienséances à appliquer. Pourtant j'aimerais les maîtriser pour ne pas finir ma vie tout seul. Ce n'est pas une capacité innée chez moi. Je parle plus vite que je ne réfléchis, ce qui me fait dire des tirades que je regrette immédiatement après les avoir prononcées.

Tout le monde a besoin d'amour et moi plus que les autres. Je suis orphelin depuis l'âge de dix ans. Mes parents étaient merveilleux, du moins, ce que je m'en rappelle. Je me souviens de toute l'affection que j'ai eue à l'aube de ma vie. Mon père faisait tout pour que je me sente important et m'encourageait à vivre mes rêves. Ma mère n'était que tendresse et veillait constamment à mon bien-être. Je vivais dans un cocon de bonheur, jusqu'au jour où l'on m'a annoncé que leur avion n'avait jamais atterri, perdu dans l'océan atlantique. On n'a jamais retrouvé les corps, ni la carcasse de l'appareil. Ils avaient disparues de la surface du globe. Je me retrouvais seul. Ensuite, c'est le parcours classique, foyers et familles d'accueil, sans vraiment avoir d'attache avec quiconque. Mes parents étaient mon univers, irremplaçable.

Quand on me rappelle ma solitude, c'est ma kryptonite : la petite chose qui me rend vulnérable. Et quand je suis dans cet état de faiblesse, je deviens agressif verbalement. Sophie en avait subi les conséquences à mon grand regret. Je n'aurai pas du la traiter de poufiasse. C'est petit et mesquin, et surtout de très mauvais goût lors d'une première rencontre.

Son regard noir se détourne finalement du mien. Elle se dirige vers la porte d'entrée et je la vois s'essuyer les yeux avec sa manche.

Un agent de la poste se tient dans l'embrasure et lui tend un colis. De là où je suis, je n'entends pas ce qu'ils se disent mais Sophie paraît surprise. Le facteur insiste, demande une signature, s'en va puis Sophie se retourne avec le paquet entre les mains.

- Il est adressé à nous deux.

- Quoi ?

Je demande à voir et en effet, nos deux noms apparaissent au dessus de l'adresse. C'est inimaginable, qui aurait pu prévoir que je sois dans cette maison aujourd'hui ?

- A l'attention de Sophie Neveu et Angus Lelion chez Jack Daniels. Ton frère s'appelle Jack Daniels ?

- Oui, je ne vous l'avais pas dit ? Neveu est mon nom marital mais... je suis en procédure de divorce. Tant que le jugement n'est pas prononcé, je préfère le garder. C'est assez compliqué à expliquer.

Sophie a l'air gêné de me révéler qu'elle est mariée. Elle est issue d'une famille aisée. Les divorces sont toujours source de problème quand il y a beaucoup d'argent en jeu. En même temps, dans les foyers modestes ce n'est pas non plus une situation facile à gérer sans accroc. Ne pas se marier est la meilleure solution pour ne pas rater son divorce. Je me demande qu'elle est la raison de leur séparation.

- Ce n'est pas le sujet. Pour le prénom de mon frère, je tiens à préciser que mon père est américain et qu'il a un sens de l'humour particulier. Du coup, j'ai un frangin doté d'un nom d'alcool. On l'appelle parfois JD. Le plus drôle, c'est que personne dans ma famille ne boit de boissons alcoolisées, jamais.

Décidément, ils n'ont pas l'air très net. Ce que Sophie ne sait pas c'est que, récemment dans la littérature, le nom de son frère est l'un des pseudonymes du célèbre tueur psychopathe : le Bourbon Kid. A espérer que la théorie de Jack selon laquelle l'écriture fantastique est inspiré de faits qui se sont réellement déroulés ne s'applique pas à lui car je tiens à ma peau.