Le Geek Ultime (1. Genesis)

Yonaguni - 1

Sophie a son téléphone à la main.

- « L'île de Yonaguni est à plus de deux mille kilomètres de Tokyo. Elle est plus proche de Taïwan, seulement 110 km, que du reste du Japon. Sa population s'élève à 1696 habitant pour une superficie de 28.96 km² ». Merci Google pour les infos. Notre destination est vraiment minuscule. C'est étonnant qu'un si petit bout de terre possède un aéroport.

Il y a en effet de quoi s'extasier face au spectacle de ce petit paradis perdu au milieu de la mer de Chine. Depuis le hublot, Yonaguni ressemble à une émeraude flottant comme par magie à la surface d'un lac placide où se reflètent les nuages. A sa contemplation, je vis un pur moment de félicité !

Je suis tellement loin de la vie qui était la mienne il y a encore deux jours. J'avais seulement voyagé virtuellement à travers les livres que je lisais ou les films que je regardais. Bloqué derrière mon comptoir du service après-vente avec aucune fenêtre donnant sur l'extérieur, je me sentais prisonnier d'un monde qui ne me correspondait pas. Je paierais peut-être les conséquences de mes choix quand j'ai suivi Sophie. Mais pour le moment, j'ai envi de jouir pleinement de l'instant présent sans trop réfléchir à ma fuite du passé ou aux problèmes à venir. Mes parents auraient t'ils approuvé mes choix ? Je m'étonne à penser à eux maintenant. J'aurai tellement voulu qu'ils soient fiers de l'homme que je suis devenu. Et je crois que pour la première fois de ma vie, je fais quelque chose dont je suis fier moi-même. On a besoin de moi, je suis quelqu'un d'important dans cette histoire. Ma parole est écoutée et mon savoir est respecté.

- Hey les gars, regardez par le hublot, on peut voir l'île de Taïwan au loin.

Et il y a avec moi cette femme si extraordinairement contradictoire dans ses réactions. Si ingénu et terriblement cruelle à la fois. Sa fragile candeur s'effaçait souvent pour laisser place à son autre personnalité tyrannique et vulgaire. Mais je ne suis pas dupe. La vrai Sophie est celle qui est gentille, douce et naïve. Pas celle qui utilise l'agressivité comme moyen de défense contre ce qu'elle ne peut pas contrôler, ce qui lui fait peur. Nous avons ce point en commun : nous craignons les interactions avec les autres êtres humains. Je suis heureux d'être avec elle. Pour que le voyage soit parfait, il faudrait que j'arrive à me débarrasser du vieil aventurier de l'arche perdue et du néo-samuraï. Malheureusement je crois que je vais devoir composer avec ce duo singulier.

Les roues du jet touchent enfin l'unique piste d'atterrissage de ce minuscule aéroport bordé par l'océan. Il n'y pas beaucoup d'habitation aux alentours, surtout des champs. On peut apercevoir au loin quelques collines et la ville principale d'où aucun immeuble ne dépasse. Les couleurs autour de moi resplendissent : le vert des prés et le bleu de la mer. Je suis conquis par ce lieu apaisant. Il doit être plaisant d'y vivre, couper des réalités et des malheurs accablants le reste de la planète. Ma quête pourrait s'arrêter là, j'ai trouvé un havre de paix et aucun trésor ne vaut la quiétude de l'esprit. Je pourrais demander à Sophie de rester vivre ici avec moi.

La réalité reprend le dessus avec brutalité quand Indy me lance mon sac.

- Alors l'gamin, tu as la tête loin d'ton cou. Mon avis qu'tu penses à tout sauf à c'qu'on doit faire dans ce trou. Eh bien, j'vais te dire. On n'est pas là pour te construire une baraque pour qu'tu vives avec femme et enfants. J'ai pas quitté mon coin d'désert pour me faire chier sur une île perdue. J't'aime bien mais là, y'a du boulot !

Suis-je un livre ouvert pour les autres ? Peu importe, il a raison. On est ici pour découvrir une bibliothèque cachée aux yeux de l'humanité depuis des millénaires. Cette piste nous menant au frère disparu de Sophie. Je ne dois pu me laisser distraire. La tache est suffisamment importante pour occuper toute une vie d'homme.

Une voiture nous attend sur le tarmac. Takeshi sait mieux s'organiser que Sophie, mais je me retiens de lui dire de peur de déclencher ses foudres. A Yonaguni, il n'y a qu'un seul aéroport, difficile de se tromper. J'ai quand même l'impression que ma vie depuis quelques temps se résume à des voitures sur des tarmacs.

Quelques kilomètres nous séparent du port où un bateau nous attend. Je devrais peut-être leur dire que j'ai peur. Me retrouver entouré d'eau ne m'emballe pas. Je sais nager mais je n'ai jamais plongé. Je ne suis pas très courageux et quand je m'imagine ne pas pouvoir surmonter une épreuve, je stresse beaucoup. Je sais que je ne dois pas y réfléchir à l'avance mais je n'y peux rien. Je ne pense qu'à ça au fur et à mesure que la voiture se rapproche inexorablement de l'embarcation.

Je ne peux plus faire demi-tour, nous sommes arrivés au port. Alea jacta est.

Le bateau est équipé de tout le matériel nécessaire à des fouilles sous-marines. Il était parti d'Okinawa avant même que je ne rencontre le GTO. Ce petit malin avait prévu de venir de toute manière, avec ou sans nous.

Le site que nous allons explorer est proche de la côte de l'autre côté de l'île. Tant mieux, nous ne serons pas isolés au milieu de l'océan pacifique sans terre à l'horizon. C'est un premier bon point. Il n'est qu'à vint-six mètres de profondeur. Deuxième bon point, ce n'est pas très profond. J'essaie de me rassurer comme je peux. Durant le vol, Sophie m'a indiqué avoir un brevet de plongée de niveau quatre, ce qui paraît être bien. Je n'y connais rien mais ça vaut, je l'espère, un troisième bon point. Je peux être confiant.

Mes seules expériences avec le monde marin, je les tiens des films Abyss et de sa version horrifique sorti la même année avec Peter « Robocop » Weller : Leviathan. A choisir, je préfère les gentils extra-terrestres habitant le fond de nos océans. Il y a eu aussi mes souvenirs douloureux avec les Dents de la Mer. Je ne sais pas qui était directeur des programmes d'Antenne 2 quand j'étais gosse, mais il choisissait toujours de diffuser ce film avant les vacances d'été. Du coup, traumatisé, je ne voulais pas mettre les pieds dans l'océan, ni dans la piscine d'ailleurs. J'espère qu'il n'y a pas de requins dans les eaux de Yonaguni. Je devrais me renseigner.

On lève déjà l'ancre. J'ai la sensation d'être dans de la ouate depuis que nous avons quitté l'aéroport. Je ne comprends plus les conversations autour de moi. Je ne la sens plus trop cette aventure. J'ai la tête qui tourne. Ne rien laisser paraître. Je vais bien. Mon souffle s'accélère. Merde ! Merde ! Merde ! J'ai du mal à respirer. Je fais une crise d'angoisse. Ma vue se trouble. Je sens que je tombe. Je...