C'est incroyable ! Il y a encore quelques heures, j'étais parti pour vivre une nouvelle journée de merde derrière mon comptoir SAV et finalement, j'attends le coup de fil d'une femme magnifique avec qui je vais voyager jusqu'au Etats-Unis sur les traces d'une légende de la fin du seizième siècle.
Sophie me malmène un peu, mais je ne suis pas non plus très tendre avec elle. Je dois mettre de l'eau dans mon vin, et elle aussi. Notre collaboration n'a pas commencé dans de bonnes conditions, ça ne présage rien de bon pour l'avenir si nous continuons sur cette voie. Ce n'est pas facile de coopérer avec quelqu'un qui est toujours en opposition avec vous. Nos divergences sur nos points d'intérêts sont trop importantes. Il faut que l'on apprenne à composer l'un avec l'autre. Pourtant, malgré nos différents, elle m'a tout de même confié les médaillons. Tout espoir n'est pas perdu, ce geste indique qu'elle doit compter, un minimum, sur moi.
Mon téléphone sonne. Il est dix-neuf heure. C'est sûrement elle qu'il essaie de me joindre pour me donner les modalités de notre voyage. Il faut que je me la joue détendu. Pas d'agression. Je vais essayer l'humour pour la dérider.
- Hello, Leonardo speaking.
- Elle est garée si loin que ça cette cliente ou le téléviseur est trop lourd pour vous, me demande une voix d'homme que je reconnais immédiatement.
- Merde.
Merde. Merde. Merde. C'est sorti tout seul. Je l'avais complètement zappé mais je savais qu'il allait m'appeler pour demander des comptes. Je vais devoir la jouer fine. Malgré tout, je dois conserver ma place dans le cas où Sophie me planterais. Je vais essayer de sauver les meubles.
- Ah, c'est vous. J'allais justement vous contacter.
- Eh oui, c'est votre boss adoré ! Vous comptez revenir un jour me voir ou vous avez perdu l'entrée du magasin ? En tout cas, vous avez tout intérêt à me fournir une meilleure excuse que ce matin.
Ça ne va pas être facile, il a l'air plutôt en colère. Allez Angus, improvise.
- Euh...Je n'ai pas eu le temps de vous prévenir. Ça m'est tombé dessus d'un coup. Comme ça !
- Quoi encore ?
- Le... décès de ma mère.
C'est nul. Tu peux mieux faire.
- Mais, vous n'êtes pas orphelin ?
- Si. Si bien sur ! ... Euh ... je me suis souvenu que c'était l'anniversaire de sa mort car j'ai croisé... une vache.
Qu'est-ce que je raconte ?
- Une vache ?
- Oui-oui, sur un camion... Pas une vraie vache ! Une pub avec une vache dessinée sur un camion.
- Quel est le rapport avec votre mère ?
Oui, quel est le rapport ? Comment je fais pour me sortir de cette situation dans laquelle je me suis mis tout seul, comme un grand nigaud que je suis ? Je dois réfléchir plus vite.
- Allo ? Monsieur Lelion ? Je ne vous entends plus. Vous êtes déjà à cours d'arguments. Je vous ai connu meilleur.
Je me lance mais ça ne va pas être beau à voir si je me crash en plein vol.
- Je me suis souvenue de Roussette, une vache de race limousine qui était ma meilleure amie, quand j'étais petit. Ma mère a dû la vendre pour subvenir à nos besoins car nous étions trop pauvres. J'étais désespéré. Je me revois encore courir sous la pluie en hurlant et pleurant car c'était un peu de mon enfance que l'on m'arrachait. Cette vache sur le camion, c'était le portrait craché de Roussette.
C'est n'importe quoi. Pourvu qu'il n'ait jamais regardé le dessin animé Rémi sans famille.
- Vous avez du vous remettre depuis. Ça fait plus de cinq heures que vous êtes absent.
- O-oui... mais non. Perdu dans mon chagrin et mes rêveries je n'ai pas vu la voiture qui arrivait dans l'autres sens. Et crac !
- Crac ?
Crac ? What else ? Pourquoi pas boom, vlan ou patatra ? Quand je ne suis pas préparé, je lui sors des inepties plus grosses que le Bibendum Chamallow dans Ghosbuster.
- Ma jambe... gauche... cassée. Du coup, la propriétaire du téléviseur a très gentiment proposé de m'accompagner aux urgences où j'attends que l'on me pose un plâtre. Avec tout ça, je n'ai pas pensé à vous contacter. Vous comprenez : l'émotion, la douleur.
- Je comprends que je vais forcement recevoir votre arrêt maladie dans les vingt-quatre à quarante-huit heures, bien sûr ?
- Bien sûr !
- Vous voulez déclarer un accident de travail ?
- Noooon. C'est ma faute ! Ça va aller. Ne vous inquiétez pas pour moi. Il faut que je vous laisse, on me fait signe que le plâtre est prêt à être couler. A très bientôt.
- C'est ça ! A très bientôt monsieur Lelion. Je me réjouis déjà de nos retrouvailles. Ah ! J'allais oublier. Passez le bonjour à Vitalis, Jolie-Cœur et Zerbino quand vous les croiserez.
Il a raccroché. Je suis persuadé qu'il m'a grillé. Ce n'était pas très subtil non plus de ma part. J'oublie souvent qu'on a environ le même âge. Après les séries récentes, il faut aussi que j'évite les références aux animés des années quatre-vingt ou alors que je pioche dans des scènes moins marquantes. Tous les gamins de mon époque avaient été traumatisés par cette épreuve difficile pour le petit Rémi. Juste après, son père l'avait vendu à un saltimbanque pour quarante francs mais bizarrement j'avais trouvé ça moins grave.
Mon avenir en tant que conseiller service semble fortement compromis.

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Le Geek Ultime (1. Genesis)
Ciencia Ficción⭐ GAGNANT WATTYS 2021 Et si toutes les créations sorties de l'imagination des scénaristes d'œuvres de science-fiction étaient des résurgences d'un passé oublié. Geek n'est pas un gros mot mais il est souvent dévalorisé. Il fait pourtant référence à...