Je m’habille en vitesse et je passe à la cuisine pour ramasser les clés et une tranche de pain. Je meurs de faim. J’ai envie d’une pizza végétarienne. C’est idiot. Je n’ai jamais faim le matin.
J’endure la lente descente de l’ascenseur avec la nervosité d’un coureur de marathon une seconde avant le signal du départ. Je cours vers la voiture. Je constate que les dommages sont minimes.
Le capot est bosselé et la calandre est fendue, mais rien de grave.
Je démarre et recule sans regarder. Au point où j’en suis rendu, le ciel peut me tomber sur la tête.
Je n’ai qu’une idée en tête : voir mon ami Mathieu, le bon vieux doc de famille. J’ignore s’il fait du bureau les samedis, mais je passe devant sa clinique pour constater que sa voiture s’y trouve. Je coupe les deux voies en ignorant les klaxons des frustrés qui se foutent bien de mon état physique et mental. J’entre dans le stationnement et j’immobilise la voiture dans un crissement de pneus qui réveillent les pigeons et les mouettes qui en étaient à une trêve momentanée.
Je réalise alors qu’il est à peine 7 heures. Je me demande que fait la voiture de Mathieu dans le stationnement si tôt le matin.
C’est alors que je réalise que je suis peut-être en train de vivre une véritable psychose. Je m’imagine des choses. Je ne vois que des événements ou des personnes que j’arrive à construire dans mon imaginaire en phase surréaliste.
Mathieu, le bon père de famille qui essaie ces derniers temps de relâcher un peu sur les heures de consultations, qui veut prendre du temps avec sa jeune épouse, la coquette Annabelle de 12 ans sa cadette, une mannequin dans la peau et une déesse dans l’âme.
J’ai été jaloux de son bonheur dès les premiers instants où il nous l’a présenté, bien avant qu’Audrée ne dérape dans la luxure et le stupre. Je suis resté là, bouche ouverte à l’écouter parler de sa vision du monde, comment elle respirait, et ce corps magnifique qui n’a rien à voir au fond avec le métier de mannequin.
C’est une relationniste professionnelle, agissant entre les sous-ministres trop occupés et les comités de lobbying qui pullulent au gouvernement. Elle mène tous ces hommes par bout du nez et je suis certain que la plupart des ententes qui surviennent entre les parties sont principalement dues à des fantasmes inachevés de part et d’autre.
Il y a dans ses yeux cette rage de vivre pleinement sa vie. C’est une marathonienne, dans les deux sens de l’expression. Dévouée au sport comme on peut l’être à la boisson (dans mon cas, évidemment), elle connaît tous les muscles de son corps incluant ceux qui m’apparaissait jusqu’à tout récemment, un simple ensemble de nerfs sensibles où les sexes se frottent et s’excitent.
Elle m’a donné, dans le détail et dans un sans-gêne presque honteux, le truc pour conserver un orgasme le plus longtemps possible en combinant la méditation régulière et le jeu de contraction du vagin. De quoi faire fulminer la petite Audrée qui n’y croyait pas du tout. Je n’ai jamais d’ailleurs osé demander de l’expérimenter. Elle est partie peu de temps après ce fameux souper où le pauvre Mathieu voyait bien que les propos de sa bien-aimée déplaceraient beaucoup d’air dans mon petit couple déjà fragile.
Je m’extirpe de la voiture avec un léger sentiment d’inquiétude. Je vois que les tentures sont tirées dans la clinique. Les portes doivent être verrouillées.
J’hésite à faire un pas vers la bâtisse. Mais il y a urgence et plus j’attends plus je risque de compromettre ma santé mentale. Je dois en avoir le cœur net.
Mais, alors que je marche vers la porte vitrée, chaque pas me semble plus lourd. Me croira-t-il? Mon histoire n’est pas des plus simples et je risque gros en lui parlant de la femme en bleu, de cette histoire de gestation et avec le passé récent de ma dépression post-Audrée, mes épisodes de beuveries incontrôlables, il va peut-être plutôt me conseiller une petite boîte de pilules ou une retraite forcée à la Maison Jean-Lapointe.
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Ma femme en bleu [version originale]
Science FictionÉmergeant lentement d'une bonne cuite, Normand Poitras se réveille auprès de celle qu'il appellera Céleste, une femme à la peau bleue, au sang froid et aux yeux baignant dans une gélatine visqueuse. Comme il tente de l'inviter gentiment à quitter le...