Police!

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On frappe à ma porte de façon violente. J’entends « Police » et je sursaute.

Je dors depuis combien de temps? Cinq minutes? Une heure?

Je regarde le cadran lumineux. Il est près de 21 heures.

Je pense à Céleste et je me demande si elle est partie déjà.

J’ai mal partout, comme si je viens de livrer un combat de lutte avec une troupe de gladiateurs. Si ma tête pèse lourd, le reste de mon corps, lui, est brisé en mille morceaux.

La porte de la chambre est toujours fermée et il n’y a heureusement personne d’étrange à mes côtés. J’en viens presque à me demander si je n’ai pas rêvé quand j’entends encore les coups portés sur le bois de la porte.

« Police! Ouvrez! »

Je me secoue un peu. Je me lève. J’ai envie de vomir. Mon ventre hurle. Le cœur est en discothèque. Je réussis à m’appuyer sur un meuble, histoire de ne pas tomber à la renverse. Je vois des étoiles.

J’ouvre la porte de chambre et marche d’un mal assuré vers la porte d’entrée. Un rapide coup d’œil m’indique que Céleste n’est plus au salon. Je peux donc ouvrir au policier qui beugle encore.

J’ouvre enfin la porte. Le type est grand, imberbe, impersonnel. Il ressemble à Ken, l’éternel beau mec de Barbie. Il joue bien son rôle, les mains posées sur la ceinture aux accessoires de base. Il me regarde un peu lui aussi. Je ne dois pas être beau à voir. Et mon air ne doit pas lui dire rien de mieux.

— Vous habitez ici? me demande-t-il en regardant à gauche et à droite.

— Normand Poitras, dis-je en tendant la main. C’est mon condo, en effet, depuis six ans. Pourquoi? Il y a le feu? Qu’est-ce que passe? Vous êtes à la recherche d’une extra-terrestre? C’est dommage, vous l’avez manquée de peu. Elle vient de prendre le dernier bus intergalactique pour Pluton.

L’avantage avec des événements aussi incroyables que ceux que je viens de vivre, c’est qu’on peut les servir à n’importe qui dans un autre contexte et ils passent tout à fait inaperçus. Pour une fois que je dis la vérité (sauf le bus intergalactique).

— Vous connaissez une certaine Angélique Bourbonnais?

— Pas que je sache. Je ne demande jamais deux fois le nom de mes conquêtes d’un soir. Ça laisse des séquelles amoureuses qui ne sont pas faciles à laver.

Le jeune homme ne semble pas apprécier mon humour de bas étage. Il sort un carnet de notes et y griffonne quelques mots en tirant un peu la langue.

— Ça me surprendrait pas mal qu’elle ait déjà partagé votre lit, monsieur Poitras. Elle est âgée de 86 ans et souffre d’Alzheimer. Je peux entrer?

Je suis tenté de lui répondre que c’est une raison de plus pour la baiser, car elle ne se souviendrait plus de moi bien plus rapidement, mais ça aurait été de trop. Je lui cède le passage et il procède. Je crois qu’il serait entré de toute façon. Il scrute le salon d’un œil rapide. Puis il entre dans l’espace cuisine.

— Et je suppose que l’Angéline est manquante à l’appel du couvre-feu et que son chocolat chaud refroidi? demandé-je sans rire.

Le policier m’emmerde. Il n’a pas d’affaires ici, dans mes quartiers. Comme si j’aurais eu un malin plaisir à la cacher derrière un sofa.

— Vous êtes un petit comique, vous, hein? On m’a dit bien des choses à votre sujet, surtout vos voisins.

Quoi, mes voisins? Ce couple de libertins qui font des partouzes une fois par mois, qui sont gelés même en été, qui ont chacun une Mercèdes machin dans le garage et qui partent faire la fête à Los Angeles en jet privé? Ils me regardent de bien haut, la Lolita et son Jules, quand on se croise de temps en temps. À part quelques saluts avec des airs fuyants, on ne s’est pas échangé des cartes de hockey ou partagé des microbes. Pourquoi en saurait-il plus sur moi que le lointain voisin du premier étage ou le concierge aux mœurs douteuses. Je bois, ce n’est pas un crime punissable de la peine de mort à ce que je sache.

— Qu’est-ce qu’on raconte à mon sujet, dites-le donc. Je serais bien heureux de l’entendre, ne serait-ce que pour mieux me découvrir.

— Oh, des choses… dit le policier en marchant vers la chambre à coucher.

Je le hais encore plus. Il se complait dans son rôle d’agent de la paix et je commence à me demander s’il n’exagère pas un petit peu.

— Qu’est-ce que vous cherchez, monsieur l’agent? Ça m’embête un peu de vous voir jouer le détective. Je ne sais rien de cette dame. Est-ce qu’elle a une marchette?

Il se tourne vers moi. Il fronce les sourcils et dit : « Bingo. Vous voyez que vous la connaissez. »

Je hausse les épaules :

— Je l’ai vue ce matin. Elle était dans l’ascenseur quand je suis revenu de prendre ma petite marche de santé. Elle réclamait le douzième étage. C’est tout ce que je sais.

— Étiez-vous seul avec elle?

J’acquiesce en me demandant si je n’oubliais pas un détail. Rien d’autre ne me vient à l’esprit. Cette maladie d’Alzheimer explique son comportement bizarre.

— Elle est peut-être descendue au rez-de-chaussée après s’être aperçue qu’il n’y avait pas de douzième.

— Les caméras de surveillance du rez-de-chaussée ne montrent pas cette dame entrer ou sortir de l’édifice au cours de la journée. Elle n’aime pas sortir seule de toute façon.

— Alors, elle est peut-être sur le toit. Elle n’est pas ici en tout cas. Cherchez tant que vous voulez. Je n’aime pas les femmes qui bavent sur mon tapis.

Il arrête son manège. Visiblement, il n’obtiendra pas grand-chose de moi ce soir. Je suis trop de mauvais poil. Je pourrais lui raconter mes dernières quarante-huit heures et je l’ennuierais davantage.

— Elle n’est pas chez elle, ni sortie par la porte principale ou par le garage. La porte qui mène au toit est protégée par un système d’alarme. Elle est sûrement dans l’édifice alors on va la trouver. Je ne vous dérangerai pas davantage. Si vous l’apercevez, ou si un détail vous revient, appelez à ce numéro.

Il me tend une carte de visite que je fourre dans la poche de mon jeans sans même le regarder. Il se dirige vers la sortie d’un pas nonchalant, non sans regarder autour une dernière fois.

— Je peux vous demander une chose, monsieur l’agent?

Il soupire, comme si ça l’ennuyait de répondre à une question.

— Pourquoi gueuliez-vous comme ça contre ma porte tantôt? Qu’est-ce que ça vous donne de réveiller les gens avec brusquerie. Je n’ai pas commis de crime, à ce que je sache? Je pourrais me plaindre, vous savez?

Il me sourit gentiment.

— J’aime mieux fesser sur une porte que sur des ivrognes qui conduisent en état d’ébriété et qui fuient les lieux d’un accident. On n’a pas grand-chose, mais on va vous coincer, mon petit monsieur. Si vous avez des cadavres dans votre placard, on va les trouver. On va se revoir, mon cher.

Il sourit encore, mais cette fois j’ai envie de tout lui déballer, mais il ne me croira pas. Comment peut-il savoir tout cela? Il n’y avait pas de témoin et la seule trace que j’ai peut-être laissée sur place ce sont des empreintes de pneus.

Quant à ma voiture, il n’y a pas de sang. La carrosserie est en effet un peu amochée mais j’aurais pu frapper un poteau ou un mur à baisse vitesse et faire des dommages mineurs. Je le regarde s’éloigner dans le corridor et tout à coup ça me revient. C’est le type qui courtisait Madeline au bar l’autre soir. Ces deux-là ont sûrement parlé de moi et de mon problème d’alcool. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi Madeline ne m’a pas appelé un taxi pour que je retourne à la maison sans causer de dommage. Je m’y perds.

Je décide donc de prendre une douche, histoire de me remettre un peu les idées en place et d’aller au bar pour tirer tout ça au clair.

Ma femme en bleu [version originale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant