Madeline

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Un peu plus tard, je roule tranquillement sur la route et je bifurque en direction de la rue où l’accident s’est produit. Il n’y a personne qui me suit, c’est déjà ça de gagné.

Je m’arrête sur l’accotement et regarde tout autour. Il n’y a rien qui puisse témoigner du passage de Céleste ni même de ma voiture.

Je regarde le ciel étoilé et je me demande où elle se trouve. Il y a des milliards d’étoiles dans ce ciel bien qu’on en voit un peu moins à proximité de la ville. Des milliers de soleils, des milliards de planète et je n’ose penser au nombre d’êtres vivants qui les habitent peut-être. C’est bien difficile d’imaginer que tout ce monde, cette immensité soient partie intégrante d’une cellule qui est elle-même dans un système complexe comme moi.

Je sais que ce geste que Mathieu et moi nous apprêtons à commettre est purement égoïste, car si on y pense bien, ce sacrifice que me demande la mise au monde de cesdits univers va peut-être donner la chance à des milliards d’autres planètes ou de soleils de se développer et cela fait de moi (et de Céleste) un dieu en quelque sorte.

Je me dirige vers le bar. Il y a peu de monde en ce dimanche soir.

Les époux, même les moins fidèles, préfèrent jouer le rôle qui leur est assigné et faire acte de présence auprès des leurs, prolongeant d’une certaine façon l’aspect religieux, ou à tout le moins traditionnel du mariage. Les célibataires ou les irréductibles Casanova qui écument les bars prennent une pause, histoire de recharger leur batterie. Il n’y a que des perdants comme moi qui n’ont rien d’autre à faire que de siroter un peu de rêve en attendant que le ciel finisse de leur tomber sur la tête. Ils ne cherchent pas la compagnie de personne, même pas par eux-mêmes. C’est dans leurs confessions à dix dollars la dose qu’ils se plongent, aveugles et sourds aux bonheurs ou aux malheurs des autres.

Madeline est là, essuyant ses verres avec la grâce d’un cygne dans un film de Walt Disney. Elle ne m’a pas vu entrer, elle qui d’habitude balaye la salle du regard dès que la porte s’ouvre. Elle me semble préoccupée.

Je m’assieds au bar tandis qu’elle me tourne le dos, cherchant une tache oubliée sur le verre à vin qu’elle tourne sous la lumière tamisée.

— Tu as ma dose habituelle, chérie? lancé-je tout doucement.

Elle ne retourne pas tout de suite, mais elle sait très bien qui vient de parler. Son corps est raide puis se détend. Elle pivote et me fait un de ses sourires que je lui connais si bien, celui du client qu’elle ne veut pas vraiment voir à cette heure.

— Tiens, un revenant. Tu vas bien?

— Quel accueil! Je m’attendais à une certaine distance, mais là, tu es à Singapour et moi à Drummondville.

— Excuse-moi, Normand. Je ne file pas très bien, ces temps-ci. Les nerfs, je suppose.

— Ou l’amour… Tu sais que ton sbire m’a rendu visite tantôt. Tu lui en as raconté de belles à mon sujet, semble-t-il.

— Écoute, Benoît fait sa job. Il ne m’a pas questionné. Il était là l’autre soir quand tu as perdu connaissance. On t’a vu tomber face première et on s’est dit que tu venais de dépasser ta dose. On t’a envoyé de l’eau froide dans le visage et tu nous as injuriés. Tu m’as traité de noms que je n’accepte pas. Quant à lui, tu as voulu lui casser la gueule. Il a réussi à te calmer et on a appelé un taxi, c’est tout.

— Un taxi? C’est drôle, je ne me souviens de rien de tout cela. Comment peux-tu expliquer que j’ai pu me retrouver dans mon auto dans un chemin presque abandonné?

Elle hausse les épaules :

— Le taxi est arrivé et on t’y a amené. Tu étais déjà en train de délirer. Le taxi est parti puis on est entré. On n’était certainement pas pour te suivre.

Ma femme en bleu [version originale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant